Le quartier général ultrasecret des rebelles à Al Bab, près d'Alep. Un bunker de béton enfoui profondément sous terre. Y vivent 55 soldats et 6 prisonniers. Notre journaliste Michèle Ouimet et notre photographe Édouard Plante-Fréchette l'ont visité et ont parlé avec les détenus, dont un chabbiha, mercenaire du régime Assad.

L'entrée est gardée par un soldat, un seul. Pantalon fripé, babouches, foulard noué autour de la tête, fusil sur l'épaule. Il est assis sur une chaise en plastique et tue le temps en fumant une cigarette.

Il ouvre la porte grillagée et nous laisse entrer dans le quartier général ultrasecret des rebelles à Al Bab, à 35 km d'Alep.

Al Bab est bombardé tous les jours par les soldats de Bachar al-Assad. Ils savent que le quartier général des rebelles est dans la ville, mais ils ignorent où il se trouve. Assad voudrait le détruire.

Couloirs de béton, terrains vides aux alentours: les rebelles ont trouvé une bonne cachette, dans le sous-sol d'un gros bâtiment. Discrétion assurée.

Cinquante-cinq soldats vivent dans les tunnels sous les ordres du major Abu Ahmed. Petit, maigre, nerfs d'acier. C'est ici, dans cet univers gris et poussiéreux, qu'il coordonne les opérations des rebelles.

Il vit avec ses hommes dans son sous-sol de béton depuis cinq mois. Un endroit où le silence est impressionnant, les bruits extérieurs étouffés. Dans un coin, un bureau; dans une pièce adjacente, leur arsenal qui se résume à quelques fusils et mitraillettes.

Les soldats dorment sur des matelas dans un couloir étroit, cordés les uns à côté des autres. Ils prient et mangent ensemble.

Fin juillet, ils ont capturé six prisonniers, cinq soldats de Bachar al-Assad et un chabbiha. Les chabbihas sont des mercenaires du gouvernement qui font le sale boulot: battre les manifestants, tuer des civils, kidnapper.

Ils ont une réputation sinistre. Tout le monde les craint. Bachar al-Assad n'a pas hésité à les utiliser depuis que la révolution gronde et menace de lui faire perdre le pouvoir.

Le chabbiha capturé par les hommes du major Abu Ahmed a accepté de nous parler. Il a 25 ans et il a été un chabbiha pendant deux ans avant d'être arrêté. Ses réponses sont minimalistes.

«Pourquoi êtes-vous devenu chabbiha?

- Pour l'argent.

- Et que faisiez-vous?

- Je battais les gens avec des bâtons pendant les manifestations.

- Combien receviez-vous pour une manifestation?

- Cinq cents livres (7$)».

Puis il s'empresse de nuancer.

«En deux ans, je n'ai gagné que 1000 livres (14$). Ma mère était fâchée, elle ne voulait pas que je fasse ça.»

II travaillait dans la construction, un travail saisonnier qui ne lui donnait pas assez d'argent pour nourrir sa femme et ses deux enfants.

«Et votre femme savait que vous étiez chabbiha?

- Un homme n'a pas à dire à sa femme ce qu'il fait. Ça ne la regarde pas.

- Que pensez-vous de Bachar al-Assad?

- C'est un criminel, un chien, il tue les civils.

- Vous pensiez la même chose quand vous travailliez pour son régime?

- Je ne pensais à rien, sauf à ma famille et à mes enfants.»

Le major Abu Ahmed ne le croit pas. L'année dernière, il a déserté l'armée de Bachar al-Assad pour se joindre aux rebelles. Il était un membre de haut rang. Il connaît les méthodes d'Assad et de ses mercenaires.

«Le chabbiha a été dénoncé et on l'a arrêté. C'est un vrai, insiste le major. Les chabbihas ne font pas que battre des manifestants, ils leur tirent dans les jambes. Ils exécutent et kidnappent.»

Ils s'habillent en civil. Difficile de les reconnaître dans une foule.

Depuis que son régime est menacé, Assad aurait libéré certains prisonniers - voleurs, vendeurs de drogue, meurtriers - et il les aurait utilisés comme chabbihas. C'est du moins ce que prétend le major.

Impossible de vérifier ces affirmations. Le régime de Bachar al-Assad ne répond à aucune question des journalistes. Il refuse même de les laisser entrer en Syrie.

Les autres prisonniers qui vivent dans le bunker sont des soldats de Bachar al-Assad capturés par les rebelles. Ils sont détenus depuis deux mois. Ils jouissent d'une relative liberté. Ils ne sont pas confinés dans des cellules. Ils mangent et dorment avec les soldats, mais ils ne sont pas libres de partir. Ils préparent les repas et font le ménage. Drôles de prisonniers.

Ils sont jeunes - 19, 20 ans. Ils ne croient plus en Bachar al-Assad et ils fraternisent avec leurs geôliers. Ils attendent la fin de la guerre, en ignorant le sort qui les attend.