Une odeur de chaussettes sales et de serviettes mouillées flotte dans l'appartement partagé par une dizaine de réfugiés syriens à Tripoli, la grande ville du nord Liban.

Parmi eux, quelques militants recherchés par les services de sécurité de Bachar al-Assad. Mais aussi, une poignée d'anciens soldats de l'armée syrienne, qui ont abandonné leur poste au péril de leur vie.

C'est le cas de Mohammad Ismail, qui émerge d'une montagne de couvertures lorsque nous frappons à la porte de sa chambre. Il nous raconte son histoire en frottant son bras endolori: il a été blessé quand il a fui son régiment, en octobre. Et sa lésion le fait encore souffrir.

Mohammad Ismail a 23 ans. Il vient de Homs, la troisième plus grande ville syrienne, qui a été le théâtre d'une bataille féroce entre l'Armée syrienne libre et les troupes de Damas, au cours des dernières semaines.

Au moment des premières manifestations contre le régime de Bachar al-Assad, en mars dernier, Mohammad faisait son service militaire au sein de la 18e division de l'armée syrienne.

Propagande

Dès les premiers jours des protestations, les soldats se sont fait confisquer leurs téléphones cellulaires. Leurs permissions ont été annulées. Leur télévision était branchée sur Dounia, la télévision d'État.

Chaque matin, ils avaient droit à un briefing militaire sur la crise qui venait de frapper le pays.

«Les officiers nous disaient que nous faisions face à une conspiration étrangère infiltrée par des militants d'Al-Qaïda, par l'Arabie saoudite et par le Mouvement du futur», se souvient Mohammad. Le Mouvement du futur, c'est l'un des deux grands courants politiques au Liban, opposé aux interférences de la Syrie.

Selon leurs séances d'information quotidiennes, toutes ces forces étrangères étaient prêtes à rétribuer les manifestants, à raison de 100$ par jour. «Une fois, ils nous ont montré la vidéo d'un bateau allemand avec une livraison d'armes. Ils nous ont dit que six officiers israéliens venaient d'être arrêtés en Syrie.»

Mohammad a cru à cette propagande jusqu'au jour où son régiment a été dépêché vers Tal Kalakh, une bourgade de 40 000 habitants, à la frontière du Liban.

«J'ai vu les manifestants, ils n'étaient pas du tout étrangers», raconte Mohammad. Et il ne pouvait qu'être d'accord avec les affiches réclamant plus de démocratie et de liberté.

Au début, le régiment de Mohammad a pour mission de protéger les immeubles de l'État. Les manifestations se poursuivent jusqu'à la mi-mai. Un air de liberté flotte sur la ville.

L'assaut

Le 14 mai, les blindés de la 4e division de l'armée syrienne, dirigée par Maher al-Assad, le frère du président, font leur entrée à Tal Kalakh. La fête est terminée.

«Il y avait les tireurs d'élite, les artilleurs, la sécurité de l'armée de l'air. Ils ont encerclé la ville et ont commencé à bombarder. Puis ils ont ratissé Tal Kalakh, maison par maison, pour arrêter les gens. La population était terrifiée.»

Pendant quatre jours, c'est le couvre-feu ininterrompu. Mohammad reçoit l'ordre de tirer sur tout ce qui bouge. Littéralement.

Le jeune soldat jure qu'il visait en l'air. «Je ne faisais que gaspiller des balles.»

Les habitants de Tal Kalakh fuient la ville, et essaient de traverser au Liban. À un moment, Mohammad est posté à un passage frontalier, où il finit par aider les combattants de l'Armée syrienne libre à entrer au Liban.

La fuite

Un jour, il aperçoit deux rebelles qu'il devait faire passer au Liban se faire interroger par des agents de la sécurité syrienne. Il sent qu'il est cuit. Il abandonne son poste et se précipite vers le Liban, sous une pluie de balles.

Mohammad estime qu'il a eu bien de la chance de s'en être tiré avec des blessures. «La majorité des soldats qui font défection se font tuer.» Une menace pèse aussi sur leurs proches. «L'armée nous dit que si nous partons, notre famille sera en danger.»

Mohammad ne comprend pas pourquoi la communauté internationale n'a pas encore établi une zone tampon où les soldats syriens pourraient fuir avec leur famille, et échapper aux représailles du régime. Il est convaincu que si c'était le cas, plusieurs militaires suivraient son exemple. Pas les officiers, qui sont tous des musulmans alaouites, comme le président Bachar al-Assad, et qui bénéficient des largesses du régime, selon lui. Mais les simples soldats, oui. Plusieurs l'ont déjà fait. Ce sont eux qui ont fondé l'Armée syrienne libre. Mais la majorité a trop peur, croit Mohammad.

Affaibli par sa blessure, Mohammad Ismail suit depuis Tripoli la bataille pour le contrôle de sa ville. Et il ne comprend pas.

«Après toutes ces conférences internationales, il n'y a personne pour aider le peuple syrien. Ce régime ne tombera pas tant qu'il ne sentira pas une réelle menace, tant que la communauté internationale ne fera que parler.»

Pendant que je discutais avec Mohammad, l'armée syrienne était sur le point de lancer son ultime offensive contre le quartier de Baba Amr. Et Mohammad se sentait impuissant. Pour lui, la révolution syrienne est «une révolution orpheline.»

100 millions

Le gouvernement de la Libye a promis de verser 100 millions de dollars en aide humanitaire à l'opposition en Syrie. Ce que cette annonce ne dit pas, c'est comment cette aide sera acheminée à l'intérieur de ce pays, qui refuse d'ouvrir ses frontières à quelque organisation internationale que ce soit. La Libye a été le premier pays à reconnaître le Conseil national syrien, organisation de dissidents syriens, comme unique représentant du peuple de ce pays.