Au soleil couchant, Moustapha déguste son thé sur le pas de sa porte. Scène banale à Tripoli. Sauf que Moustapha est assis sur un micro-ondes et que sa maison se révèle être un poste de garde avec des meurtrières horizontales pour seules fenêtres.

Quant au paysage, le Libyen de 57 ans contemple des immeubles éventrés par les bombes, des fortifications explosées, voire un char calciné. Bienvenue à Bab al-Azizia, la porte splendide.

L'ancien quartier général et résidence principale de Kadhafi occupe environ 6 km au sud de Tripoli. En août 2011, ce camp retranché a été pris par les insurgés, aidés par les bombardements de l'OTAN. Depuis, une cinquantaine de familles pauvres squattent les bâtiments, réservés jusqu'alors au berger des Syrtes et à ses proches.

« Je connaissais cet endroit avant Kadhafi, se remémore Moustapha. Là [il désigne deux bâtiments bruns en ruine], c'était deux écoles. Il y avait aussi 40 ou 50 maisons. Le lieu était aux Libyens. Il leur appartient à nouveau.»

« Franchement, je regrette Kadhafi »

Contrairement à l'ancien major de l'armée, Nouria n'a cure de l'histoire de ce terrain. Elle s'y est installée au début de l'année avec ses trois enfants. Elle n'a pas de toilettes et seuls des moellons posés à la va-vite dans ce qui devait être un ancien garage créent un semblant d'intimité. « On ne paie rien, c'est bien. Mais franchement, je regrette Kadhafi. Je travaillais à la pharmacie de l'hôpital. Je gagnais 300 dinars libyens par mois [environ 245 $]. Kadhafi me donnait 200 dinars de plus (163,50$CAN). Maintenant, je n'ai plus ni travail ni argent. Et puis, j'ai honte d'habiter ici. Je n'invite jamais mes amies.»

Dès l'automne dernier, des révolutionnaires et même d'anciens kadhafistes ont prévenu les familles pauvres de Tripoli de l'aubaine: pas de loyer, un raccordement sauvage à l'électricité et à l'eau courante. Une seule règle: premiers arrivés, premiers servis.

Des maisons sans porte

Amer Jamar appartient à la «bourgeoisie» de Bab al-Azizia. Le jeune professeur est arrivé il y a neuf mois. Il a récupéré une belle demeure, probablement le logement d'un militaire de haut rang. Deux cuisines, trois salles de bains, quatre chambres. «Quand j'ai vu la maison, j'ai pensé: «Oh mon Dieu, je veux vivre ici! J'aurai enfin ma propre chambre!»» De nombreuses pièces, encore noires de suie à cause des pillages, restent à aménager. Au moment de la prise de Bab al-Azizia, les Tripolitains ont fait main basse sur tout: meubles, câbles électriques, fusibles, etc. Sa mère refuse de quitter la maison. «Nous n'avons plus de porte. Il y a des jeunes qui ont des armes et qui se droguent. Alors, je ne sors pas, même pour faire les courses.»

Trafics en tout genre

Bab al-Azizia est effectivement le repaire des jeunes désoeuvrés. Contrairement aux nouveaux habitants, ils osent s'aventurer dans le saint des saints, la maison de Kadhafi. L'habitation, totalement anéantie, sent toujours le feu qui a ravagé les lieux. Les entrées des tunnels transformées en caches et la pénombre facilitent les commerces illégaux. Des canettes de bière vides au sol confirment la mauvaise réputation du lieu (l'alcool est interdit en Libye).

Les autorités se déclarent impuissantes. «On leur dit de partir, car c'est un endroit dangereux. Ils n'ont pas le droit de vivre ici. Mais on ne va pas les expulser de force», déplore Mohamed Adnan, membre du conseil local de Tripoli. À terme, l'ancien quartier général deviendra un lieu public. De quel type? Quand les travaux commenceront-ils?

«On ne sait pas pour l'instant. Ce n'est pas la priorité», concède-t-il.

Les libéraux libyens ont confirmé hier leur victoire à Tripoli, devant les islamistes, selon les résultats préliminaires des élections législatives rendus publics par la commission électorale. Dans le scrutin des listes de parti qui portent sur 80 sièges de la future Assemblée nationale, les Libyens ont voté massivement en faveur des libéraux conduits par l'ancien premier ministre du Conseil national de transition, Mahmoud Jibril, selon les résultats préliminaires annoncés au compte-gouttes par la Commission électorale depuis de début du dépouillement. Cette alliance, qui dit oeuvrer pour un «État civil », a enregistré de larges scores également dans l'Est, considéré pourtant comme un bastion des groupes islamistes. L'enjeu porte désormais sur les 120 sièges attribués par scrutin uninominal.