«Sortez de chez vous, libérez Tripoli!» Mouammar Kadhafi, traqué par les rebelles, a lancé cet appel désespéré, jeudi, dans un enregistrement diffusé par une chaîne syrienne. Ses fidèles continuent effectivement à se battre avec détermination dans la capitale libyenne. Résultat: les hôpitaux débordent, a constaté notre correspondant, qui a aussi fait une découverte saisissante. Dans un de ces établissements travaillait vraisemblablement Hana Kadhafi, fille du despote qui, croyait-on, avait été tuée lors d'un bombardement américain en 1986.

La situation demeurait instable jeudi à Tripoli, où les rebelles continuaient à lutter avec acharnement contre un groupe de soldats fidèles à Mouammar Kadhafi non loin de l'ancien quartier général du dictateur en fuite.

Les violents combats des derniers jours ont fait des centaines de morts et de blessés, dont les noms sont affichés à l'entrée de l'hôpital central, qui peine à répondre à la demande.

À l'arrivée de La Presse à l'hôpital, jeudi, les membres de la famille d'un rebelle blessé par un tireur embusqué tentaient de l'emmener en voiture.

D'autres victimes, moins chanceuses, occupent les lits d'une salle adjacente, bondée. Khaled Mohammed Ararha, qui est revenu de Grande-Bretagne pour se joindre à la rébellion, a lui aussi été blessé par un tireur embusqué. Il se tordait de douleur en racontant son histoire sous le regard attentif de sa mère. «C'est un héros», a-t-elle assuré.

Mohammed Hassin a reçu une balle au thorax, qu'il montre sur une radiographie. Il affirme avoir été victime d'un soldat redouté du bataillon d'élite de l'un des fils de Mouammar Kadhafi, Khamis.

Ce soldat a été tué récemment par les rebelles, et sa dépouille a été transportéeà l'hôpital. M.Hassin, qui l'a filmé à l'aide de son téléphone, s'est dit «très, très content» de le savoir mort.

Bien que les références visuelles à la rébellion soient omniprésentes dans l'hôpital, les médecins disent qu'ils soignent aussi, sans discrimination, les soldats kadhafistes.

L'un d'eux, Ahmed Ayadi, blessé il y a un mois, dit qu'il a combattu les rebelles «parce que c'était les ordres». Visiblement mal à l'aise de répondre à nos questions dans cette salle remplie de victimes du régime, il assure qu'il n'aime pas Mouammar Kadhafi et souhaite «qu'Allah le punisse».

La fille de Kadhafi

Le personnel s'efforce aussi de soigner les rebelles qui sont venus à l'hôpital avant la prise de Tripoli même s'ils étaient pratiquement assurés de se faire arrêter. Ils devaient notamment surmonter l'agressivité d'une influente jeune praticienne qui détestait les opposants au régime. «Elle disait qu'il ne fallait pas les aider, qu'ils étaient des rats et qu'ils méritaient de mourir», raconte l'anesthésiste Saïf Moussa.

Le personnel assure que la praticienne n'était nulle autre que la fille de Mouammar Kadhafi, Hana. Le régime a toujours prétendu qu'elle avait été tuée dans l'attaque américaine contre la résidence du dirigeant libyen dans les années80.

«C'était de la propagande. Elle n'est pas morte. Tout le monde le sait, ici», a assuré un praticien qui l'a côtoyée durant ses études ainsi qu'à l'hôpital même, où elle travaillait depuis environ un an.

Un autre employé a assuré que la jeune femme, dans la vingtaine, pouvait congédier ou remplacer des gens à sa guise malgré son manque d'expérience.

«Elle est de la famille Kadhafi. Elle faisait ce qu'elle voulait», a expliqué M.Moussa, qui a fait visiter à un petit groupe de journalistes le luxueux bureau qu'elle s'était réservé à l'étage. On y trouve des canapés de cuir, un téléviseur de luxe, une salle de bains spacieuse et une cafetière Nespresso.

Le journal allemand Die Welt avait évoqué plus tôt cette année la possibilité qu'Hana Kadhafi soit vivante un secret de Polichinelle à Tripoli.

Selon M.Moussa, elle a quitté l'hôpital dimanche en matinée avec ses gardes du corps.

Obligés de s'armer

Le soulagement des médecins à la suite du départ de la fille de Kadhafi trouve écho chez plusieurs citoyens qui, jeudi, après s'être terrés pendant des jours, sortaient enfin dans les quartiers les plus stables. Nombre d'entre eux faisaient le V de la victoire pour célébrer la chute du régime, échangeant des «Allah akbar» avec les rebelles postés aux points de contrôle.

Dans la plupart des quartiers, des résidants armés continuent de monter la garde pour empêcher les pillages et débusquer d'éventuels sympathisants kadhafistes.

«Nous sommes obligés de nous armer pour nous défendre. Il y a des cinquièmes colonnes un peu partout», a expliqué Ali Sadeg, qui habite dans un quartier central où des rebelles venus de Misrata déchargaient jeudi des munitions.

De sa fenêtre, Lilia, Vénézuélienne mariée à un Libyen, lançait des félicitations aux rebelles. «Chavez a fait beaucoup de bonnes choses et il n'a tué personne. Il n'est pas fou comme Khadafi», a-t-elle déclaré au sujet du dirigeant vénézuélien, soutien indéfectible du régime libyen.

Au pied de l'immeuble, un jeune garçon s'essuyait les pieds sur une tapisserie représentant le dictateur, un large sourire aux lèvres.