Avec l'attentat suicide déjoué mercredi, qui aurait pu faire un carnage dans l'un des temples les plus visités de l'Égypte pharaonique, les djihadistes semblent changer de stratégie pour ébranler un pouvoir répressif obsédé par la nécessité d'attirer à nouveau touristes et investisseurs étrangers.

Depuis la destitution du président islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013 et la répression sanglante menée contre ses partisans par les autorités, des groupes djihadistes ont perpétré de nombreux attentats et attaques-commando, qui visaient exclusivement les forces de sécurité.

Mais les experts ont prédit qu'ils changeraient rapidement de stratégie face à l'incapacité de ces attaques, qui ont tué des centaines de policiers et de soldats, à affaiblir le nouveau pouvoir d'Abdel Fattah al-Sissi. D'autant que pleuvent sur le pays les millions de dollars d'aide des monarchies du Golfe et les promesses de contrats juteux avec des compagnies étrangères.

L'attentat n'a pas été revendiqué, mais plusieurs experts mettent en cause des «éléments djihadistes».

Mercredi, à l'entrée du temple de Karnak à Louxor, les policiers ont stoppé trois assaillants. Un kamikaze s'est fait exploser et les policiers ont tué ou blessé les deux autres, lourdement armés. Plus de 600 touristes se trouvaient dans le temple, seuls deux policiers et deux civils égyptiens ont été légèrement blessés.

La police a évité un massacre comparable à ceux de Garissa au Kénya (148 morts dans une université en avril), ou du musée du Bardo à Tunis (21 touristes tués en mars).

Une telle attaque est «susceptible d'inquiéter la communauté internationale au moment où les touristes commençaient à revenir, au Caire ou à Louxor», estime Zack Gold, expert au sein du groupe de réflexion American Security Project.

Le Caire avait annoncé en février une hausse de 20% des recettes du tourisme en 2014 par rapport à l'année précédente. Ce secteur fournit près de 20% de ses devises étrangères à l'Égypte.

Guerre totale

«Désormais, il s'agit d'une guerre totale menée contre l'Égypte et pas seulement contre ses forces armées», renchérit Mathieu Guidère, professeur de géopolitique arabe à l'université de Toulouse (France).

Ce type d'attaque a pour objectif «d'affaiblir l'économie égyptienne en détruisant le secteur touristique», mais permet également de «donner le maximum d'impact médiatique et une résonance internationale là où des actions locales ont échoué à obtenir le même écho depuis des mois malgré leur intensité», analyse-t-il.

Pour Mohamed al-Zayat, du Centre régional pour les études stratégiques au Caire, «on a voulu porter un coup dur à l'économie et au tourisme, montrer que le pays n'est pas sûr au moment où le secteur connaissait une reprise».

En février 2014, le principal groupe djihadiste du pays, Ansar Beït al-Maqdess, avait revendiqué un attentat suicide contre un bus de touristes sud-coréens faisant quatre morts, dans le Sinaï.

Le groupe, qui a récemment fait allégeance aux djihadistes de l'État islamique (EI), affirmait à l'époque livrer une «guerre économique» au Caire.

Le tourisme avait déjà subi un coup très sévère et durable en novembre 1997, lorsque six djihadistes avaient massacré à Louxor 35 Suisses, six Britanniques, quatre Allemands, deux Colombiens, onze Japonais et quatre Egyptiens.

Et après l'attentat de mercredi, le ministre des Antiquités Mamdouh al-Damati a reconnu, dans un entretien avec l'AFP, avoir «le sentiment que le terrorisme commence à frapper les sites touristiques».

«Nous multiplions les mesures de sécurité sur ces lieux, et nous continuons à placer des caméras de surveillance sur tous les sites archéologiques», tente-t-il de rassurer.

Mais pour M. Guidère «il n'y a pas grand chose à faire contre les attentats suicide». «Même les Américains barricadés dans la zone verte à Bagdad n'ont pas réussi. La clé n'est ni militaire ni sécuritaire, mais politique et sociale», estime l'expert.

Car les groupes djihadistes disent agir en représailles à la sanglante répression qui s'est abattue sur les pro-Morsi.

Dans les semaines qui ont suivi l'éviction du président islamiste, plus de 1400 manifestants ont ainsi été tués par les forces de sécurité et plus de 40 000 personnes ont été arrêtées, selon Human Rights Watch (HRW). Des centaines de pro-Morsi ont été condamnés à mort dans des procès expéditifs.