Un tribunal égyptien a condamné lundi à des peines de 7 à 10 ans de prison trois journalistes d'Al-Jazeera accusés de soutien aux islamistes, dont l'Égypto-Canadien Mohamed Fadel Fahmy et l'Australien Peter Greste, un verdict qui a aussitôt suscité une levée de boucliers à l'étranger.

Depuis son ouverture en février, cette affaire est vue comme un test pour les autorités installées en Égypte depuis la destitution il y a près d'un an du président islamiste Mohamed Morsi par l'armée, et notamment pour le système judiciaire qui a condamné il y a quelques jours 183 islamistes présumés à la peine capitale.

Les soutiens des journalistes ont lancé une campagne de mobilisation à travers le monde sous le slogan «le journalisme n'est pas un crime». Leurs proches espéraient un acquittement au lendemain de la visite au Caire du secrétaire d'État américain John Kerry dont le pays a annoncé lundi le dégel du tiers de sa précieuse aide militaire à l'Égypte.

M. Greste et M. Fadel Fahmy, chef du bureau de la chaîne qatarie avant qu'elle ne soit interdite en Égypte, ont été condamnés à sept ans de prison, tandis que l'Égyptien Baher Mohamed a écopé de 10 ans. Parmi leurs coaccusés, trois journalistes étrangers jugés par contumace, deux Britanniques et une Néerlandaise, ont été condamnés à dix ans de prison.

«C'est un verdict désastreux pour ces hommes et leurs familles et un jour noir pour la liberté de la presse en Égypte», a estimé Amnistie internationale.

Al Jazeera dénonce, l'Australie consternée

Al-Jazeera a qualifié le verdict d'«injuste», tandis que l'Australie s'est dite «consternée». Les deux pays dont des ressortissants journalistes ont été condamnés par contumace, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont convoqué les ambassadeurs d'Égypte, La Haye ajoutant qu'elle évoquerait ce sujet avec l'Union européenne.

L'Égypte considère Al-Jazeera comme le porte-voix du Qatar, auquel elle reproche son soutien aux Frères musulmans alors que Doha dénonce ouvertement la répression contre les pro-Morsi.

«Il n'y a aucune justification à la détention de nos trois collègues. Les avoir gardés en détention 177 jours est une honte. Les condamner défie la logique, le bon sens et toute apparence de justice», a réagi la chaîne du petit émirat gazier après l'annonce du verdict.

Au total, 20 personnes comparaissaient dans cette affaire : 16 Égyptiens étaient accusés d'appartenance à une «organisation terroriste» - les Frères musulmans - et d'avoir cherché à «nuire à l'image de l'Égypte», alors que les quatre étrangers étaient accusés d'avoir diffusé «de fausses nouvelles» en vue de soutenir la confrérie. Sur les neuf qui étaient détenus, outre MM. Fadel Fahmy, Greste et Baher, deux ont été acquittés et quatre autres ont écopé de sept ans. Huit autres accusés étaient également jugés en leur absence et ont tous écopé de 10 ans de prison.

À l'annonce du verdict, M. Fadel Fahmy s'est écrié «Ils vont payer pour ça, ils vont payer pour ça! Je le jure!».

«Nous sommes dévastés, c'est dur de trouver les mots pour décrire ce que nous ressentons. Ce n'est vraiment pas ce que nous attendions, nous espérions un acquittement», a dit à l'AFP Andrew Greste, dont le frère avait auparavant travaillé pour la BBC et reçu plusieurs prix prestigieux. «Nous continuerons à nous battre pour sa libération», a-t-il ajouté.

Pas de grâce dans l'immédiat

Un responsable à la présidence égyptienne a indiqué à l'AFP qu'aucune grâce présidentielle ne pouvait intervenir avant qu'une cour d'appel n'ait statué sur l'affaire.

Chaabane Saïd, avocat de la défense, a dénoncé un verdict «politique». «Il n'y a aucune preuve contre les accusés, tous les journalistes devraient désormais s'inquiéter : il n'y a pas de justice, c'est la politique qui fait loi», a-t-il lancé.

Ce verdict intervient sur fond de sanglante répression des pro-Morsi et deux semaines après l'élection à la présidence de l'ex-chef de l'armée Abdel Fattah al-Sissi avec 96,9 % des suffrages. Ce maréchal à la retraite dirigeait déjà de facto le pays depuis qu'il a destitué et fait arrêter M. Morsi le 3 juillet 2013.

Depuis, soldats et policiers ont tué plus de 1400 manifestants pro-Morsi, arrêté plus de 15 000 personnes, dont des centaines ont été condamnées à mort ou à la prison à perpétuité dans des procès expéditifs.

Alors qu'ils couvraient ces événements, MM. Greste et Fahmy avaient été arrêtés le 29 décembre dans une chambre d'hôtel du Caire transformée en bureau après une descente de police dans les locaux d'Al-Jazeera.

Les journalistes travaillaient sans l'accréditation obligatoire pour tous les médias.

Il y a près d'une semaine, un journaliste de l'antenne arabophone d'Al-Jazeera, Abdallah ElShamy, a en revanche été libéré pour raisons de santé, après près de cinq mois de grève de la faim pour dénoncer sa détention.