Ce pourrait bien être les vagues de condamnations à mort les plus massives de l'histoire moderne. Dans un deuxième événement du genre en un mois, un tribunal égyptien a imposé la peine de mort à 683 personnes d'un coup, dont le leader des Frères musulmans, Mohammed Badie. Sur place, les observateurs évoquent maintenant «la pire crise en matière de droits de l'homme» en Égypte depuis les années 1950. Explications en cinq questions.

Q: Que s'est-il passé hier?

R: Un juge de Minya, au sud du Caire, a condamné à mort 683 personnes pour avoir attaqué un poste de police l'an dernier.

Le mois dernier, le même juge avait aussi condamné à mort 529 personnes pour une attaque similaire contre un autre poste de police.

«Ces décisions représentent possiblement les condamnations à mort les plus massives de l'histoire mondiale récente», a dénoncé Sarah Leah Whitson, directrice générale pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord chez Human Rights Watch (HRW).

Les sentences de 492 des 529 premiers condamnés ont cependant été transformées hier en peines de prison à perpétuité, alors que 37 d'entre eux continuent de faire face à la peine de mort.

Le tribunal a du même souffle interdit d'existence le Mouvement de la Jeunesse du 6-Avril - un groupe qui avait contribué à déclencher les manifestations ayant conduit à la chute de l'ex-dictateur Hosni Moubarak en 2011 - et condamné certains de ses membres à la prison.

HRW décrit des procès qui ont duré à peine quelques heures et au cours desquels les avocats des accusés ont à peine été entendus.

Q: Qui sont les condamnés?

R: Le plus célèbre est Mohammed Badie, le Guide suprême des Frères musulmans. La plupart des autres condamnés sont aussi des membres des Frères musulmans, le parti de l'ex-président Mohamed Morsi. Celui-ci avait été élu démocratiquement en juin 2012, puis renversé par l'armée un an plus tard avec un certain appui populaire. Depuis, le gouvernement du général Abdul Fattah al-Sissi réprime les Frères musulmans, qu'il considère comme des terroristes.

Quant au Mouvement de la Jeunesse du 6-Avril, il est décrit comme un mouvement «séculaire, de gauche et pacifique» par Human Rights Watch.

Q: Quel sort attend les condamnés?

R: Bien malin qui peut le dire. Les sentences doivent recevoir l'aval du grand Mufti, la plus grande figure religieuse du pays, mais son avis n'a pas force de loi. Les condamnés peuvent aussi en appeler de leur condamnation.

«Je serais très surpris que ces gens finissent par être vraiment exécutés», dit David Pollock, ancien conseiller du gouvernement américain pour le Moyen-Orient aujourd'hui associé au Washington Institute.

Selon lui, ces sentences reflètent davantage la dérive d'un tribunal de province que la volonté réelle du gouvernement égyptien. L'expert croit que le régime tolère de tels abus parce qu'ils effraient ses opposants, mais qu'il n'ira pas jusqu'à permettre des exécutions de masse parce qu'il se discréditerait alors complètement sur la scène internationale.

«Dans le climat de répression brutale et de politisation profonde du processus judiciaire qui sévit actuellement, il est impossible d'être confiant à propos de quoi que ce soit», a dit pour sa part à La Presse un chercheur de HRW sur le terrain, qui ne veut pas être nommé pour des raisons de sécurité.

«En attendant, des gens croupissent en prison pour vrai, et des centaines de gens sont plongés dans l'incertitude de voir leurs proches exécutés», souligne-t-il.

Selon lui, la situation des droits de la personne est aujourd'hui pire en Égypte que sous le joug de l'ancien dictateur Hosni Moubarak.

«On n'a rien vu de tel dans l'histoire de l'Égytpe moderne depuis la prise de pouvoir par Gamal Abdel Nasser, dans les années 1950», dit-il.

Q: Faut-il s'attendre à une réaction internationale?

R: David Pollock croit qu'à moins que les condamnés ne soient réellement exécutés, la communauté internationale se contentera de dénoncer les sentences sans exercer de sanctions. Washington a promis dix hélicoptères au gouvernement égyptien la semaine dernière et devrait, selon lui, les livrer comme prévu. Le ministre des Affaires étrangères de l'Égypte, Nabil Fahmy, est à Washington aujourd'hui pour rencontrer le secrétaire d'État John Kerry.

«L'heure est au réchauffement des relations entre Le Caire et Washington, et non l'inverse», dit M. Pollock.

Q: Quel impact auront ces condamnations sur les élections présidentielles, prévues le mois prochain?

R: Certains experts croient que la répression pourrait déclencher des protestations et attiser les violences politiques en vue du scrutin.

Hier, les Frères musulmans ont publié une déclaration affirmant qu'ils continueraient «à se battre sans répit pour la liberté et la démocratie en Égypte» et qu'ils utiliseraient «tous les moyens pacifiques pour mettre fin au régime militaire».