La communauté internationale a dénoncé les condamnations à mort lundi de près de 700 partisans présumés du président islamiste destitué Mohamed Morsi, dont le chef des Frères musulmans, un mois après un premier procès de masse expéditif similaire.

Mais Saïd Youssef Sabry, le juge unique du tribunal de Minya (centre), qui avait déjà prononcé 529 peines capitales le 24 mars, en a commué lundi 492 en prison à vie sans explications.

Le jugement du 24 mars, après une seule journée d'audience, avait été dénoncé par l'ONU comme «sans précédent» dans l'Histoire récente du monde, en «violation du droit international et des droits de l'Homme».

Lundi, la Maison Blanche a condamné avec force les nouvelles 683 condamnations à mort, jugées «totalement incompatibles avec les obligations de l'Egypte en matière de droits de l'Homme», et appelé les autorités à les annuler.

Tout comme Londres et Paris, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon s'est dit pour sa part «préoccupé», estimant que ces condamnations «ne semblent clairement pas respecter les règles de base d'un procès équitable».

Lundi soir, l'ambassade d'Egypte à Washington a répondu que la justice égyptienne était indépendante et que ces condamnations étaient susceptibles d'être interjetées en appel.

Selon les experts, les nouvelles 683 condamnations à mort, comme les 37 restantes du précédent procès, devraient être annulées en appel ou en cassation pour la grande majorité, tant la procédure et les droits les plus élémentaires de la défense ont été bafoués.

Le verdict de mars n'avait néanmoins pas provoqué d'émoi en Egypte, illustrant le climat extrêmement délétère qui y règne.

Une large majorité de la population, à l'unisson des médias quasi-unanimes, applaudit à la répression implacable menée contre les islamistes par le gouvernement installé et dirigé de facto par l'armée après qu'elle eut destitué le 3 juillet M. Morsi, seul président jamais élu démocratiquement en Egypte.

Plus de 1400 manifestants pro-Morsi ont été tués en dix mois et plus de 15 000 de ses partisans emprisonnés.

Et, pour accréditer le sentiment d'experts et d'ONG que la répression de toute contestation est devenue pire que sous le régime de Hosni Moubarak, un tribunal du Caire a interdit lundi le Mouvement du 6-Avril, un groupe laïc de gauche fer de lance de la révolte populaire qui chassa du pouvoir l'ex-raïs début 2011.

«Où est la justice?» 

A Mynia, à l'énoncé du verdict, plusieurs femmes se sont évanouies devant le tribunal encerclé par les forces de l'ordre. «Où est la justice?», s'est écriée l'une d'elles.

Les condamnés sont accusés d'avoir participé dans le gouvernorat de Minya aux manifestations pro-Morsi le 14 août au moment où, au Caire, 700 manifestants tombaient sous les balles des policiers et soldats.

Mais plusieurs proches ont assuré que les condamnés n'avaient rien à voir avec les manifestations de Minya, dans lesquelles au moins un policier avait été tué dans l'attaque d'un commissariat.

«Mon fils est mort depuis trois ans et son nom est cité dans cette affaire», s'indignait Wada Hasaballah, la soixantaine, toute voilée de noir.

«Beaucoup de condamnés n'étaient même pas dans la manif», a assuré au téléphone à l'AFP Gamal, 25 ans, professeur d'arabe condamné à mort lundi mais en fuite, et qui revendique son appartenance aux Frères musulmans et sa participation à la manifestation. «C'est le procès politique de ceux qui s'opposent au régime militaire».

Sur les quelque 1200 accusés condamnés le 24 mars mars et lundi, seuls environ 200 sont emprisonnés, les autres étant en fuite ou ayant été libérés sous caution.

Le jugement «démontre une nouvelle fois combien la justice égyptienne est devenue arbitraire et partiale (...) et risque de se transformer tout simplement en un nouveau rouage de l'appareil répressif des autorités», a commenté de son côté Amnesty international.

Condamné à mort lundi pour avoir «incité» aux violences, Mohamed Badie, le guide suprême des Frères musulmans, qui ont remporté toutes les élections depuis l'éviction de Hosni Moubarak, est également jugé au Caire dans plusieurs autres procès pour lesquels il encourt la peine capitale, à l'instar de M. Morsi.

La quasi-totalité des leaders des Frères musulmans ont été arrêtés depuis le 3 juillet. La confrérie a été décrétée «terroriste» par le gouvernement qui la rend responsable d'une vague d'attentats visant les forces de l'ordre.

Les peines de mort doivent être validées par le mufti, représentant de l'islam auprès de l'État, mais son avis n'est pas contraignant. Concernant les 683 condamnés à mort de lundi, le juge a fixé au 21 juin sa décision finale après l'avis du mufti.

Le procès n'a pas été équitable, affirme Ban Ki-moon

Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon estime que les condamnations à mort prononcées en Égypte contre des pro-Morsi «ne semblent clairement pas respecter les règles de base d'un procès équitable», a indiqué son porte-parole Stéphane Dujarric.

M. Ban, a-t-il dit, est «préoccupé» par ces sentences. «Des verdicts qui semblent clairement ne pas respecter les règles de base d'un procès équitable, en particulier ceux imposant la peine de mort, sont susceptibles de nuire à long terme aux perspectives de stabilité» en Égypte, a-t-il ajouté.

M. Ban «est conscient des implications de ces verdicts pour la sécurité et pour la région», a souligné le porte-parole, évoquant «la stabilité de l'Afrique du Nord et du Proche-Orient dans leur ensemble».

Le secrétaire général est aussi «préoccupé» par la décision d'interdire les activités du Mouvement du 6 avril et «déçu» du rejet début avril des appels contre l'emprisonnement de «trois figures emblématiques du soulèvement de 2011».

«Tout en respectant l'indépendance de la justice», M. Ban rappelle qu'il avait mis en garde contre les effets de la loi égyptienne réglementant les manifestations, estimant qu'elle pourrait remettre en cause «la liberté de rassemblement pacifique».

Toujours selon son porte-parole, M. Ban doit en discuter cette semaine avec le ministre égyptien des Affaires étrangères Nabil Fahmy, qui est en visite aux États-Unis.