Les trois magistrats chargés de juger en Égypte pour «incitation au meurtre» de manifestants le guide suprême des Frères musulmans, la confrérie du président islamiste Mohamed Morsi destitué par l'armée, se sont récusés mercredi en invoquant le chahut dans le box des accusés.

Le procès avait déjà été ajourné le 29 octobre après que les trois premiers juges désignés se furent récusés pour «cas de conscience».

Le guide suprême Mohamed Badie et ses co-accusés étaient entrés mercredi matin dans la cage en fer du box des accusés en scandant des slogans hostiles au gouvernement mis en place par les militaires quand ils ont destitué et arrêté le chef de l'État le 3 juillet. Depuis mi-août, le nouveau pouvoir dirigé de facto par l'armée mène une répression implacable et très meurtrière de toute manifestation pro-Morsi.

Dans un premier temps, le juge présidant l'audience, Mostafa Salama, avait suspendu les débats en demandant le calme. Mais lors de la reprise, le même chaos s'est installé et le magistrat excédé a ajourné le procès.

«J'ai demandé aux accusés de se calmer, mais ils ne l'ont pas fait. Alors nous nous récusons», a lancé le juge Salama, rendu quasiment inaudible par les cris des accusés fustigeant le tribunal et ses juges, le gouvernement de transition, et le chef de l'armée, le général Abdel Fatah al-Sissi, le véritable homme fort désormais de l'Égypte.

Dans un court discours, M. Badie, en uniforme blanc des détenus comme ses co-accusés, a crié à l'adresse du nouveau pouvoir qu'il considère comme issu d'un «coup d'État» : «Le peuple égyptien a goûté à la liberté après la révolution (qui a poussé Hosni Moubarak à quitter le pouvoir en 2011) et depuis l'élection de Mohamed Morsi! Ils n'abandonneront pas cette liberté!»

«Sissi traître! Sissi traître!», ont ensuite scandé les accusés à l'adresse du général qui a annoncé le 3 juillet la destitution et l'arrestation de M. Morsi, avant de nommer immédiatement un gouvernement et un président «de transition» qu'il a chargés d'organiser des élections législatives et présidentielle au premier semestre 2014.

Le Guide Mohamed Badie et ses adjoints, Khairat al-Chater et Rachad Bayoumi, encourent la peine de mort pour «incitation» et «complicité» dans le meurtre de neuf manifestants anti-Morsi le 30 juin.

Trois autres membres de leur confrérie sont accusés de ces «meurtres» et 29 islamistes comparaissent avec eux pour avoir participé directement, selon l'accusation, à ces heurts. Pour ces derniers, qui ont comparu dans la matinée séparément de M. Badie et ses adjoints, l'audience a été ajournée au 11 février.

Un second procès de M. Badie et de dirigeants des Frères musulmans, également pour «incitation au meurtre» de manifestants anti-Morsi, cette fois lors d'une manifestation le 15 juillet, s'était ouvert lundi, mais a été ajourné aussitôt au 11 février.

M. Morsi, premier président égyptien élu démocratiquement, est jugé lui-même pour «incitation au meurtre» de manifestants et son procès, ouvert le 4 novembre, a été ajourné au 8 janvier.

Le 14 août, policiers et soldats ont dispersé dans un bain de sang deux rassemblements pro-Morsi au Caire. Plus de 700 manifestants ont été tués ce jour-là. Au total, depuis cette date, plus d'un millier d'entre eux ont péri et des milliers de partisans des Frères musulmans, qui avaient largement remporté les législatives de fin 2011, ont été arrêtés, dont la quasi-totalité de leurs dirigeants.

Le 30 juin, des millions d'Égyptiens avaient manifesté pour réclamer le départ de M. Morsi, lui reprochant d'avoir accaparé les pouvoirs au seul profit des Frères musulmans et de vouloir islamiser à marche forcée la société égyptienne. L'armée avait invoqué cette mobilisation massive pour justifier son coup de force de juillet.