Le projet de nouvelle Constitution en Égypte a été adopté dimanche, avant un référendum pour son approbation, et confère à l'armée qui a destitué le président islamiste Mohamed Morsi des pouvoirs importants dont celui, controversé, de juger des civils.

Dans le même temps, des manifestants pro-Morsi, qui manifestaient sur l'emblématique place Tahrir au Caire pour la première fois depuis la destitution de M. Morsi le 3 juillet, ont été dispersés dans l'après-midi par la police à coups de gaz lacrymogènes.

Le projet de Constitution a été adopté à la majorité des voix d'une commission constituante de 50 personnalités, nommées par le gouvernement dirigé de facto par l'armée. Il sera ensuite soumis au chef de l'État par intérim Adly Mansour, puis au suffrage populaire probablement fin décembre ou début janvier.

Début juillet, les militaires ont arrêté le seul président jamais élu démocratiquement en Égypte, suspendu la Constitution et nommé un gouvernement intérimaire chargé d'élaborer une nouvelle loi fondamentale et d'organiser des élections législatives et présidentielle en 2014.

Parallèlement, depuis la mi-août, les nouvelles autorités répriment dans le sang les partisans de M. Morsi. Plus d'un millier de manifestants islamistes ont ainsi péri sous les balles des forces de l'ordre.

Dimanche, les forces de l'ordre ont dispersé sur Tahrir plus de 2000 étudiants pro-Morsi, qui dénonçaient un «coup d'État militaire».

La tension restait vive dans la capitale où des heurts ont éclaté dans le quartier d'Amiriya (nord) entre des habitants et la police après la mort d'un étudiant tué par un policier à la suite d'une collision entre leurs véhicules, selon des responsables des services de sécurité.

Le projet de Constitution prévoit que ni le Parlement ni le gouvernement n'auront de droit de regard sur le budget de l'armée, comme c'est déjà le cas depuis une quarantaine d'années. Des tribunaux militaires pourront juger des civils qui s'en seraient pris à leur institution. Enfin, la nomination du ministre de la Défense devra se faire durant huit ans avec l'accord du Conseil suprême des forces armées (CSFA).

Le référendum, le vrai test

Ces articles --les deux premiers étant déjà inscrits dans la Constitution adoptée sous la présidence de M. Morsi en 2012-- ont déclenché ces derniers jours des manifestations hostiles à l'armée, de mouvements libéraux et laïcs comme islamistes, et inquiètent les organisations de défense des droits de l'Homme qui les jugent «liberticides».

L'article le plus polémique autorise les militaires à juger des civils «en cas d'attaque directe contre les forces armées» et leurs «équipements», alors que la fin des procès de civils devant des tribunaux militaires était au coeur des revendications de la révolte de 2011, qui a poussé le président Hosni Moubarak à quitter le pouvoir, dans la lignée du Printemps arabe.

L'actuel ministre de la Défense, le général Abdel Fattah al-Sissi, commandant en chef de l'armée et vice-Premier ministre, est le véritable homme fort de l'Égypte.

Par ailleurs, le projet de Constitution fixe un calendrier pour les élections parlementaires et présidentielle.

Il stipule que les procédures pour la «première élection doivent commencer au moins 30 jours après l'adoption de la Constitution et au plus tard 90 jours après». «Les procédures pour l'autre élection doivent commencer dans les six mois suivant le référendum», ajoute le texte sans préciser quel serait le premier scrutin.

Ahmed Abd Rabbo, qui enseigne les Sciences politiques à l'Université du Caire, estime que le projet de Constitution ne donne «aucune garantie contre la militarisation de l'État».

Pour son collègue Hassan Nafaa, la vraie question se posera au moment du référendum car «il est toujours difficile d'obtenir une large majorité dans un pays divisé».

Les articles concernant l'armée «alimenteront le débat parmi les laïcs que la loi sur les manifestations a déjà mis en colère».

C'est dans ce contexte que la justice a ordonné la prolongation de 15 jours de la détention d'une figure du mouvement laïc accusée d'avoir organisé une manifestation contre ces articles mardi.

Alaa Abdel Fattah doit répondre de l'organisation d'une «manifestation illégale» en vertu d'une loi interdisant tout rassemblement n'ayant pas obtenu l'aval du ministère de l'Intérieur et d'avoir «frappé un officier de police».

Parallèlement, la justice a ordonné la libération d'Ahmed Maher, fondateur du mouvement du 6-Avril fer de lance de la révolte de 2011, qui s'était rendu à la justice samedi.