L'Égypte a réagi jeudi avec colère à la décision des États-Unis de sabrer temporairement l'aide militaire versée au pays. Selon les experts, cette «demi-mesure» adoptée par Washington ratera la cible et risque de se retourner contre le gouvernement.

Le Caire «ne capitulera pas face à la pression américaine», a tonné jeudi un porte-parole du régime égyptien, voyant la livraison d'hélicoptères de combat, d'avions de chasse et de missiles interrompue par la décision de Washington de diminuer drastiquement son aide militaire annuelle de 1,3 milliard US à l'Égypte.

Les Américains ont ainsi voulu envoyer le message qu'ils n'endossent pas la répression sanglante des manifestants et les égarements démocratiques du nouveau gouvernement égyptien, qui a pris le pouvoir par la force en juillet dernier en renversant le gouvernement élu de l'ex-président Mohamed Morsi.

Mais selon David Pollock, un ancien conseiller du gouvernement américain pour le Moyen-Orient aujourd'hui associé au Washington Institute, Washington vient d'adopter une «demi-mesure» qui ne mènera nulle part.

«Cette annonce est un compromis qui reflète le débat interne qui a lieu aux États-Unis sur l'Égypte, et non une action réfléchie et stratégique», a-t-il dit jeudi à La Presse.

Le gouvernement Obama n'a jamais voulu qualifier de «coup d'État» le renversement du régime de Morsi par l'armée, pour une raison bien simple: légalement, il aurait alors dû interrompre l'importante aide militaire qu'il apporte à ce pays, considéré avec l'Arabie saoudite et Israël comme l'un de ses principaux alliés au Moyen-Orient.

Une décision «boomerang»

Or, plusieurs politiciens conservateurs aux États-Unis militent pour infliger une «punition» à l'Égypte en coupant l'aide en totalité. Samir Saul, historien des relations internationales à l'Université de Montréal, croit aussi que Washington a choisi de couper la poire en deux en sabrant en partie, et temporairement, son soutien militaire à l'Égypte.

«Les États-Unis sentent que l'Égypte leur échappe et ne savent pas trop s'ils doivent réagir par la punition ou la persuasion, dit-il. Ils ont adopté un compromis irréfléchi qui, selon moi, aura pour impact d'éloigner encore l'Égypte des États-Unis.»

Selon lui, ce geste est un «boomerang» qui se retournera contre Washington, notamment en ravivant le sentiment antiaméricain des Égyptiens.

En entrevue à l'AFP, d'autres experts ont tenu le même discours. L'un d'eux a notamment qualifié le geste américain de «mesure à court terme déconnectée de toute stratégie globale».

«L'administration américaine accentue la pression sur le gouvernement égyptien pour qu'il change de politique à l'égard des pro-Morsi, mais cela n'arrivera pas», a renchéri Hassan Nafaa, professeur de sciences politiques à l'Université du Caire.

Notons que les Américains ont maintenu le volet de leur aide destiné à lutter contre le terrorisme, faisant dire à certains observateurs que les États-Unis étaient davantage intéressés à assurer la sécurité d'Israël, leur grand allié dans la région, qu'à aider l'Égypte.

Selon Samir Saul, de l'Université de Montréal, l'aide militaire et économique versée à l'Égypte par les États-Unis n'est pas désintéressée: elle vise à leur assurer le soutien du pays arabe le plus peuplé du globe.

«Les États-Unis sont demandeurs dans ce contexte. On aide parce qu'on veut contrôler», dit-il.

David Pollock, du Washington Institute, croit toutefois que l'Égypte apprécie énormément l'équipement et l'entraînement militaire fournis par les États-Unis, et qu'il lui faudrait plusieurs années pour développer une relation avec un autre pays qui pourrait lui fournir un soutien équivalent.

Il croit aussi que l'Égypte bénéficie indirectement du support américain comme d'une espèce de «caution» morale.

«C'est un signe de confiance envers le gouvernement égyptien et la stabilité du pays qui rassure autant les investisseurs et les touristes que les autres gouvernements et les institutions comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, dit-il. En termes de dollars, cet effet indirect est beaucoup plus important que l'aide elle-même.»

Selon lui, ces raisons font en sorte qu'à long terme, les deux pays sont condamnés à entretenir une bonne relation.

«Les deux côtés ont un grand intérêt à aller au-delà de ce différend», dit-il.