La Turquie a durci très fortement le ton envers l'Égypte, rappelant son ambassadeur au Caire après la répression sanglante des Frères musulmans, au risque d'atteindre un point de «non-retour» dans ses relations avec le pouvoir égyptien dirigé par l'armée, selon les analystes.

L'ambassadeur de Turquie au Caire Huseyin Avni Botsali a été rappelé jeudi soir «pour discuter des derniers développements qui se déroulent en Égypte», a déclaré à l'AFP un porte-parole du ministère turc.

L'Égypte a aussitôt répliqué en rappelant son ambassadeur en Turquie pour consultations, selon les médias égyptiens.

Le président turc Abdullah Gul a nié toute ingérence de son pays dans les affaires intérieures de l'Égypte, affirmant que les messages d'Ankara devaient être vus comme des «avertissements amicaux».

«Tous ces événements sont une honte pour le monde islamique et les pays arabes», a dit Gul, cité par l'agence Dogan News lors d'une visite en Azerbaïdjan.

«Les amis (de l'Égypte) souffrent. Je souffre pour chaque mort égyptien», a-t-il ajouté.

Les violences, les pires depuis le soulèvement en 2011 contre Hosni Moubarak, ont éclaté mercredi lorsque la police et l'armée ont voulu disperser les manifestants, faisant près de 600 morts pour la plupart des civils, dont des femmes et des enfants.

À Istanbul, plus de 1000 personnes ont manifesté devant une mosquée à l'issue de la prière, scandant : «dégage Sissi !», en référence au chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Sissi qui a chassé l'ancien président élu Mohamed Morsi.

Quelque 3000 manifestants ont défilé à Ankara en direction des ambassades des États-Unis et de l'Égypte. «On ne peut arrêter le mouvement islamiste», criaient les manifestants, brandissant des portraits de Mohamed Morsi. «Ils (les militaires) se noieront dans le sang qu'ils ont répandu».

Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, chef du parti de la Justice et du développement (AKP) issu de la mouvance islamiste, avait fortement renforcé les liens entre son pays et l'Égypte sous la présidence de Mohamed Morsi, élu en juin 2012, Ankara ayant fait du Caire l'un de ses partenaires privilégiés dans sa stratégie d'influence régionale.

Le leader égyptien avait été invité au congrès annuel de l'AKP en septembre dernier, Erdogan présentant le régime turc comme le modèle d'un mariage réussi entre l'islam et la démocratie.

Erdogan qui a d'emblée condamné un «coup d'État» de l'armée en Égypte et reconnu Mohamed Morsi comme unique représentant légitime du pouvoir, avait écourté ses vacances en juillet pour participer à un sommet sur la crise égyptienne.

Faisant allusion à l'histoire récente de son pays, Erdogan avait déclaré que la Turquie avait servi de «référence» à l'Égypte, expliquant que les coups d'État militaires ne pouvaient être tolérés.

La toute-puissante armée turque, qui s'est longtemps considérée comme la gardienne de l'état séculaire en Turquie est responsable de quatre tentatives de coups d'État en un siècle.

Mais malgré les vives critiques contre les militaires après le coup de force dirigé par le général al-Sissi, les dirigeants turcs ont laissé entendre qu'ils ne rompraient pas les relations avec l'Égypte.

Les analystes estiment cependant que la répression sanglante des manifestants pro-Morsi constitue un «point de non-retour» pour la Turquie, qui rendra très difficile une réconciliation entre le gouvernement d'Erdogan et le régime militaire en Égypte.

Les violences pourraient également durement toucher les implantations turques en Égypte dont les investissements approchent les 2 milliards de dollars (1,5 milliard d'euros).

La fabrique de biscuits turcs Yildiz Holding a déjà annoncé l'arrêt de sa production en Égypte à cause de l'état d'urgence, et d'autres devraient suivre parmi les 260 sociétés turques implantées en Égypte, principalement dans le textile et la confection, ont rapporté les médias égyptiens.

À son arrivée en Turquie vendredi, l'ambassadeur au Caire Huseyin Avni Botsali a toutefois estimé qu'il y avait «une volonté commune des deux pays de ne pas affecter les relations commerciales». «Mais tout dépendra de la stabilité et de la sécurité» dans le pays, a-t-il ajouté.