Il y a plus de deux ans, les Égyptiens prenaient la rue pour exiger des réformes démocratiques. Ils ont célébré une première victoire avec le départ de Hosni Moubarak, président depuis 30 ans, en février 2011.

Depuis, le pays ne cesse d'accuser les contrecoups. Les espoirs démocratiques ont débouché sur de violents affrontements. Faut-il en conclure à l'échec du Printemps arabe? Les experts avec qui La Presse s'est entretenue croient que oui.

Q : Pourquoi la situation en Égypte ne cesse-t-elle de se détériorer?

R : «C'est l'accumulation de plusieurs mois de frustrations, surtout depuis que le président Mohamed Morsi [des Frères musulmans] a été destitué le 3 juillet», croit Houchang Hassan-Yari, professeur de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada.

Henry Habib, professeur de sciences politique à l'Université Concordia ajoute que l'entêtement des partis a polarisé la population. «Environ 50% de la population est contre M. Morsi. Et comme l'armée voit que les islamistes sont tellement idéologiques, elle tient aussi son bout. Les deux s'entêtent, mais je jetterais surtout le blâme sur les islamistes.»

Q : Doit-on parler de guerre civile?

R : Les experts croient qu'il est encore trop tôt pour parler de guerre civile entre les pro-Morsi et ceux qui s'y opposent. «Mais il y a des signes inquiétants», reconnaît M. Hassan-Yari. Le professeur croit que les autorités contrôlent de moins en moins la crise, d'où la décision de déclencher l'état d'urgence dans le pays, hier. «Le pouvoir s'effrite, on le voit avec le départ du vice-président Mohamed El-Baradei [hier].»

Q : Peut-on conclure à l'échec du Printemps arabe?

R : «C'est un signe clair que le Printemps arabe s'essouffle et se transforme en contre-révolution», souligne M. Hassan-Yari.

Les islamistes ont «volé» le Printemps arabe, poursuit M. Habib. «Ce sont les derniers qui ont rejoint le mouvement lorsqu'ils ont vu que c'était un véhicule par lequel il ferait avancer leur cause. Si c'était une révolution en 2011, le résultat est là. C'est un échec.»

Q : Pourquoi la présidence de Morsi, élu démocratiquement, n'a-t-elle pas apporté de la stabilité?

R : «Les élections ont été organisées trop vite. Il fallait que les autres forces aient le temps de s'organiser», affirme M. Hassan-Yari. Résultat: Morsi est devenu président avec une mince majorité et les Égyptiens se sont divisés. «On ne peut pas espérer de changement quand le président lui-même n'est pas prêt à jouer le rôle de leader de toute la population.»

Jabeur Fathally, spécialiste du monde arabo-musulman de la faculté de droit à l'Université d'Ottawa, abonde dans ce sens. «M. Morsi a décrété le texte constitutionnel dans lequel il se dotait de tous les pouvoirs. On l'appelait le nouveau pharaon, explique-t-il. Quand vous êtes dans un processus politique fragile, il ne faut pas froisser les sensibilités et utiliser les mêmes pratiques que celles de l'ancien régime.»

Q : Après les débordements d'hier, une réconciliation est-elle possible?

R : M. Hassan-Yari est plutôt pessimiste quant à une réconciliation. «L'avenir n'est pas très prometteur. On risque d'entrer dans une période relativement longue de confrontation. La radicalisation s'installe.»

Des élections précipitées ne résoudraient rien, croit M. Habid. «Le pays n'est pas prêt. Je dirais d'attendre au moins deux ans», dit-il. Selon lui, l'Égypte a besoin d'une personne forte et éclairée pour stabiliser le pays.

M. Fathally se dit convaincu que les Frères musulmans essaieront de trouver une solution avec l'armée et la société civile. «Les Frères n'ont pas intérêt à entrer dans un conflit armé, sinon le pays glissera vers une situation similaire à la Syrie, dit-il. Je suis persuadé qu'il y aura des discussions et des négociations sérieuses dans les prochaines heures. La question: est-ce qu'elles aboutiront?»