Un nouveau président islamiste, des militaires plus influents que jamais, et plusieurs Égyptiens perplexes. À quoi s'attendre des prochains mois en Égypte? Nous avons posé la question à Miloud Chennoufi, professeur de relations internationales au Collège des Forces canadiennes à Toronto.

L'islamiste Mohamed Morsi a été élu président de l'Égypte, à la suite des premières élections démocratiques du pays. Mais l'Assemblée législative a été dissoute la semaine dernière, ce qui complique la passation du pouvoir entre l'armée et les civils. Comment s'exercera le pouvoir en Égypte dans les prochains mois?

«Les rapports de force entre les Frères musulmans, l'armée et les Égyptiens non islamistes vont se poursuivre, note Miloud Chennoufi. La période de transition sera un théâtre d'ombres où chacun a un programme qu'il tentera de faire avancer en tenant compte des contraintes que représentent les autres. Ce qui est sûr, c'est qu'il y aura bientôt des élections législatives et des discussions intenses entre les Frères musulmans et l'armée sur le partage du pouvoir.»

Trois acteurs du «théâtre d'ombres»

1. L'armée

Les militaires ont tenté au cours de la dernière année d'arracher certains pouvoirs extraconstitutionnels pour assurer leur influence, mais ont dû battre en retraite. Mais les dispositions dont ils se sont emparés leur permettent de légiférer en attendant le nouveau Parlement, de décider des mesures de défense, de sécurité, des affaires étrangères et du contenu de la Constitution. «Ils sont assez conséquents avec ce qu'ils ont toujours réclamé», note M. Chennoufi.

Photo: Amr Abdallah Dalsh, Reuters

Un soldat de l'armée égyptienne, au Caire le 23 juin.

2. Les Frères musulmans

Entre les pressions exercées par les salafistes et les libéraux, le groupe des Frères musulmans a cherché à rallier à sa cause tous les Égyptiens qui rejettent l'ère Moubarak. Et comme dans plusieurs pays, observe Miloud Chennoufi, «une fois que le parti a gagné, il fait comme si le pays lui appartenait». Mais tant que la nouvelle Assemblée législative ne sera pas élue, le président aura peu de pouvoirs. «C'est un gouvernement qui va prendre beaucoup de claques, parce qu'il ne pourra faire ses preuves sur le plan économique ou autre, et ce sera un gouvernement de très moyen terme qui devra principalement organiser de nouvelles élections.»

3. Les «autres»

Ils sont musulmans, chrétiens, féministes, libéraux, démocrates, mais certainement pas islamistes. Ils représentent «de 35 à 40% de l'électorat», dit M. Chennoufi. Pourtant, une proportion non négligeable d'entre eux a voté pour les Frères musulmans. «C'est un vote refuge, observe M. Chennoufi. Ils ne veulent pas du régime militaire, mais se méfient des islamistes.» Il y a cependant, croit M. Chennoufi, un espace à la discussion, par exemple, sur la question des femmes. «Ce n'est pas compliqué: l'émancipation des femmes passe par l'éducation, martèle M. Chennoufi. Et les Frères musulmans sont très favorables à l'éducation des filles.»

Un chrétien et une femme comme vice-présidents?

S'il faut en croire les propos d'Ahmed Deif, conseiller politique du président Mohamed Morsi, les premières nominations qui seront annoncées par le nouveau président concerneront ses vice-présidents. L'un d'eux sera un chrétien, un autre sera une femme, selon les affirmations de M. Deif. «Ce ne seront pas seulement des vice-présidents qui représenteront les intérêts d'un groupe, mais des vice-présidents qui seront dotés d'un pouvoir décisionnel», a-t-il déclaré lundi sur les ondes de CNN.

 

 

Photo: Reuters

Des partisans du nouveau président égyptien, le Frère musulman Mohamed Morsi, se sont réunis hier sur l'emblématique place Tahrir, au Caire.