Les Égyptiens élisaient mercredi un successeur au président déchu Hosni Moubarak lors d'un scrutin historique âprement disputé par 12 candidats après des décennies d'élections acquises à l'ancien régime.

L'issue du vote est cruciale pour l'orientation que prendra le pays le plus peuplé du monde arabe, avec quelque 82 millions d'habitants, partagé entre la tentation islamiste et celle d'une normalisation incarnée paradoxalement par des personnalités de l'ère Moubarak.

Les principaux prétendants sont le candidat des Frères musulmans Mohammed Morsi, l'islamiste indépendant Abdel Moneim Aboul Foutouh, le dernier premier ministre de M. Moubarak Ahmad Chafiq, l'ex-ministre des Affaires étrangères et ancien patron de la Ligue arabe Amr Moussa et le nationaliste arabe Hamdeen Sabbahi.

Les bureaux de vote ont fermé à 21h locales (15h, heure du Québec), au lieu de 20h. La participation, qui semblait moins importante qu'attendu pendant la journée, était en forte hausse après la tombée du jour et la baisse de la température, selon des correspondants de l'AFP. Le vote se poursuit jeudi.

Dans le quartier populaire de Sayyeda Zeinab, des policiers assurant la sécurité d'un des bureaux de vote ont demandé aux électeurs qui y ont afflué dans la soirée de «revenir demain», selon une journaliste de l'AFP.

Au petit matin, des files d'attente s'étaient formées dans une ambiance bon enfant, avant même l'ouverture des 13 000 bureaux de vote à 8h locales (2h, heure du Québec), placés sous la protection d'un important dispositif militaire et policier.

«C'est un jour merveilleux pour l'Égypte. Aujourd'hui, je sens que mon pays et ma dignité m'ont été rendus», a affirmé avec émotion Nehmedo Abdel Hadi, une femme de 46 ans portant le niqab (voile intégral), devant un bureau de vote du quartier populaire de Chobra, au Caire.

«S'il n'y avait pas eu la révolution, nous serions en train de féliciter Gamal Moubarak sur sa victoire électorale aujourd'hui», a dit une autre électrice, Dalia Gamal, en allusion au fils et probable héritier de l'ancien président.

Plus de 50 millions d'électeurs sont appelés à choisir entre 12 candidats: islamistes, laïcs, de gauche ou libéraux, partisans de la «révolution» ou anciens responsables du régime Moubarak.

Les États-Unis ont salué le début de l'élection comme «une étape très importante» dans la transition de l'Égypte vers la démocratie, en qualifiant le scrutin d'«historique».

Les résultats du premier tour doivent être annoncés en principe le 27 mai. Si aucun candidat ne remporte la majorité absolue, un second tour est prévu les 16 et 17 juin.

«Deux types de vote sont en concurrence: le vote islamiste et le vote pour la stabilité», a affirmé à l'AFP Hicham Kassem, un commentateur politique. «Toutes les combinaisons sont possibles pour le second tour».

MM. Moussa et Chafiq pourraient compter sur le vote de ceux qui «veulent un retour à la normale» après 15 mois d'une transition mouvementée, estime Hicham Kassem.

À Chobra, un quartier populaire du Caire, de nombreux chrétiens disaient voter pour Ahmad Chafiq. «Que Dieu nous protège si les islamistes arrivent au pouvoir et contrôlent à la fois le Parlement et la présidence», confiait l'un d'eux, Nassim Ghaly.

Mais M. Chafiq, ancien général abhorré par les partisans de la «révolution», a été la cible de jets de chaussures à la sortie d'un bureau de vote, où une foule criait «À bas les fouloul», terme péjoratif utilisé par les Égyptiens pour évoquer les restes de l'ancien régime, selon un correspondant de l'AFP.

Malgré l'obligation de respecter le «silence électoral», des candidats ont continué à donner des interviews pour appeler leurs partisans à voter pour eux et dénoncer leurs rivaux.

Farouk Soltane, le chef de la commission électorale, a déclaré lors d'une conférence de presse avoir renvoyé les violations devant le Parquet général.

Le Conseil militaire au pouvoir depuis la chute de Moubarak, très critiqué pour sa gestion de la transition, émaillée de violences, s'est engagé à remettre le pouvoir au nouveau président avant la fin juin.

De nombreux analystes estiment toutefois que l'armée, épine dorsale du système depuis la chute de la monarchie en 1952 et qui détient un patrimoine économique considérable, restera un acteur important de la vie politique.

Les pouvoirs du prochain président sont pour l'instant très imprécis, la Constitution en vigueur sous M. Moubarak ayant été suspendue et la rédaction de la nouvelle étant au point mort.

S'il n'est pas islamiste, le président devra également composer avec un Parlement dominé par les Frères musulmans et les fondamentalistes salafistes.

Il devra aussi faire face à une situation économique préoccupante, combinant les inégalités sociales extrêmes héritées de l'ancien régime et le fort ralentissement de l'activité, notamment dans le secteur touristique, depuis la révolte.