Plus de 10 000 Égyptiens ont manifesté sur la place Tahrir du Caire, vendredi, dans une démonstration de force organisée par les islamistes, qui demandent aux dirigeants militaires d'exclure le chef des services secrets d'Hosni Moubarak et d'autres responsables de l'ancien régime de l'élection présidentielle du mois prochain.

Cette première grande manifestation en Égypte depuis des mois constitue un revirement pour les islamistes, qui ont abandonné les rassemblements populaires pour adopter une stratégie de coexistence avec les dirigeants militaires après leur écrasante victoire aux élections législatives, l'an dernier.

Mais la lutte pour le pouvoir s'intensifie à l'approche de l'élection présidentielle du mois prochain, dans laquelle les islamistes espèrent décrocher le plus haut poste de l'État. En réaction, l'un des plus puissants membres du régime Moubarak, l'ancien vice-président et chef du renseignement Omar Suleiman, a présenté sa candidature en affirmant vouloir empêcher les islamistes de prendre le pouvoir.

Le rassemblement de vendredi, organisé par les Frères musulmans et le mouvement salafiste ultraconservateur, a mis en évidence la situation difficile des progressistes et des partisans de la gauche. La plupart d'entre eux rejettent aussi la candidature d'Omar Suleiman, mais ils soupçonnent les islamistes de vouloir monopoliser le pouvoir, et les accusent d'opportunisme. La plupart des militants progressistes qui ont été aux premières lignes du soulèvement populaire de l'an dernier ont boudé la manifestation de vendredi.

La foule rassemblée sur la place Tahrir, épicentre du soulèvement qui a mené au renversement du régime Moubarak, était majoritairement islamiste. Une grande bannière d'un important candidat salafiste à la présidentielle, Hazem Abu Islamil, était suspendue sur la place et plusieurs manifestants portaient des t-shirts à son effigie. De nombreux hommes portaient la barbe des musulmans conservateurs et les vendeurs proposaient des bannières noires avec la profession de foi musulmane.

«Si Omar Suleiman devient président, (le pays) deviendra un bain de sang et les gens vont rester sur la place pendant 10 ans», a déclaré un manifestant, Ahmed Murad, devant des bannières qualifiant M. Suleiman de «candidat des sionistes».

Omar Suleiman a été l'émissaire d'Hosni Moubarak dans les relations de l'Égypte avec Israël et plusieurs le considèrent comme un symbole de la relation apaisée entre les deux pays sous le règne de l'ancien dictateur.

«Nous n'avons pas chassé Moubarak pour en avoir un autre», a lancé un autre manifestant, Adel Suleiman, alors que la foule portait un cercueil noir où était écrit «le peuple veut chasser les vestiges», en référence aux anciennes personnalités du régime.

Les manifestants ont scandé «le peuple veut renverser le maréchal», en référence au chef du conseil militaire au pouvoir, le maréchal Hussein Tantaoui.

Jeudi, le Parlement égyptien dominé par les islamistes a adopté un projet de loi interdisant aux personnalités de l'ancien régime de se porter candidates à la présidence pendant 10 ans. Le projet de loi a été élaboré à la hâte cette semaine dans une tentative de disqualifier Omar Suleiman, mais le conseil militaire doit ratifier le texte pour qu'il entre en vigueur.

En réponse aux allégations voulant que M. Suleiman soit soutenu par l'armée, le maréchal Tantaoui a déclaré vendredi que le conseil militaire «n'a aucun préjugé et n'appuie aucun parti», et qu'il «ne participe pas au débat politique en cours et ne soutient aucun candidat à la présidence». Il n'a rien dit au sujet du projet de loi adopté par le Parlement.

Même si la plupart des Égyptiens se méfient d'Omar Suleiman, considéré comme un symbole de l'ancien régime, il pourrait rallier le soutien d'une partie de la population qui craint la domination des islamistes et qui veut un retour à la stabilité après plus d'un an de troubles.

L'élection présidentielle égyptienne doit avoir lieu les 23 et 24 mai, avec un possible second tour les 16 et 17 juin. Le gagnant sera annoncé le 21 juin, moins de deux semaines avant la date de transfert du pouvoir aux civils promise par les militaires.