L'annonce-surprise de la candidature à la présidence égyptienne d'un pilier de l'ère Moubarak, l'ancien vice-président et chef du Renseignement Omar Souleimane, a constitué vendredi un nouveau rebondissement dans une course déjà riche en coups de théâtre.

Des centaines d'internautes égyptiens ont aussitôt exprimé sur Twitter leur stupeur - et pour beaucoup leur consternation - de voir un proche de l'ancien président revenir sur le devant de la scène politique après la «révolution» de janvier-février 2011.

L'annonce était d'autant plus inattendue que jeudi, M. Souleimane avait dit jeter l'éponge faute d'avoir obtenu les soutiens nécessaires, alors que le dépôt des candidatures prend fin dimanche.

Mais dans un communiqué publié par l'agence officielle Mena, l'ancien vice-président de Hosni Moubarak affirme avoir répondu à «un appel» populaire.

Dans la journée, des centaines de personnes avaient manifesté dans un quartier du Caire pour l'appeler à se présenter. «Ce serait un honneur pour l'Égypte qu'Omar Souleimane soit président», a dit à l'AFP Sahar Hamed, tandis qu'un homme venu d'Alexandrie pour l'occasion assurait que M. Souleimane était «l'homme de la situation».

«L'appel que vous avez lancé aujourd'hui est un ordre et je suis un soldat qui n'a jamais désobéi à un ordre de sa vie», a affirmé l'ancien chef des très redoutés services de renseignements.

M. Souleimane a précisé qu'il devait encore obtenir les parrainages nécessaires à la validation de sa candidature, en promettant de «déployer tous les efforts possibles pour (...) pour réaliser le changement espéré, compléter les objectifs de la révolution et réaliser les espoirs du peuple égyptien».

Certains de ses partisans, rassemblés dans le quartier d'Abbassiya, ont commencé à se disperser en fin d'après-midi pour aller récolter des parrainages d'électeurs, selon un journaliste de l'AFP.

Les candidats ont besoin de 30.000 signatures d'électeurs, ou du soutien de trente parlementaires, ou de celui d'un parti représenté au Parlement.

La candidature de M. Souleimane est le dernier rebondissement en date d'une campagne émaillée de coups de théâtre.

Les Frères musulmans, première force politique du pays, avaient déjà bouleversé la donne politique le 31 mars en annonçant qu'ils présentaient un candidat à la présidence alors qu'ils s'étaient engagés à ne pas le faire.

La puissante confrérie a présenté son «numéro deux», Khairat al-Chater, un riche homme d'affaires considéré comme le premier financier des Frères et leur éminence grise politique.

Ces derniers jours, c'est la nouvelle que le candidat salafiste Hazem Abou Ismaïl pourrait être écarté en raison de la nationalité américaine de sa mère qui est venue agiter la campagne. La loi électorale stipule que tout candidat à la magistrature suprême doit être uniquement égyptien, de même que ses parents et son épouse.

Des milliers de partisans de M. Abou Ismaïl ont défilé dans la capitale vendredi pour dire «Non à la manipulation» et exiger que leur candidat reste dans la course.

Le premier tour de l'élection présidentielle doit se tenir les 23 et 24 mai. La liste définitive des candidats doit être publiée le 26 avril.

M. Souleimane n'est pas le seul candidat à venir de l'ancien régime. Le dernier chef de gouvernement de M. Moubarak, Ahmad Chafiq, se présente également, tout comme l'ancien secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa, ancien ministre des Affaires étrangères du président déchu.

Parmi les candidats déclarés figurent aussi Abdelmoneim Aboul Foutouh, un ancien cadre dirigeant des Frères musulmans, et l'opposant Ayman Nour, emprisonné sous M. Moubarak et qui a pu déposer son dossier vendredi.

Omar Souleimane, un ancien membre du «premier cercle» de Moubarak

Chef des services secrets et chargé des dossiers sensibles sous Hosni Moubarak, Omar Souleimane, qui a annoncé vendredi sa candidature surprise à l'élection présidentielle égyptienne, apparaît comme un postulant intimement lié à l'ancien pouvoir.

Cet homme de l'ombre a affronté le 11 février 2011 sous les regards du monde entier ce qui a peut-être été sa plus difficile mission: annoncer le départ de son mentor, chassé du pouvoir sous la pression d'une révolte populaire.

«Compte tenu des conditions difficiles que traverse le pays, le président Mohammed Hosni Moubarak a décidé d'abandonner le poste de président de la République et de charger le conseil suprême des forces armées de gérer les affaires du pays», déclare-t-il, le visage fermé, dans une brève allocution télévisée.

Ce septuagénaire à la calvitie prononcée et portant une fine moustache perd du même coup le poste de vice-président que M. Moubarak lui avait confié quelques jours plus tôt dans l'espoir de calmer la foule et de trouver une issue politique à la crise.

Ennemi farouche des Frères musulmans, il s'était résolu à ouvrir un dialogue sans précédent avec la puissante confrérie islamiste -qui domine aujourd'hui le Parlement- dans les derniers jours au pouvoir du raïs.

Des tirs contre un convoi dans lequel il se trouvait, le 28 janvier 2011, restent encore aujourd'hui un des épisodes les plus mystérieux du soulèvement égyptien.

Omar Souleimane faisait partie du «premier cercle», très étroit, de M. Moubarak, où figurait aussi le maréchal Hussein Tantaoui, ministre de la Défense et aujourd'hui chef du haut conseil militaire au pouvoir.

Contrairement à d'autres hiérarques de l'ère Moubarak, il n'est pas traduit en justice, et témoignera même à l'automne dernier -à huis-clos- au procès de son ancien patron.

L'éventualité d'un retour dans l'arène politique a fait plusieurs fois surface ces derniers mois sous forme de rumeurs, ou par le biais de furtifs collages d'affiches en sa faveur.

Né en 1934 dans une famille aisée de Qena, en Haute-Egypte, Omar Souleimane s'engage dans la voie militaire, avant de prendre le chemin des «services». Il devient en 1991 le chef des moukhabarat, le redoutable et tentaculaire bureau de renseignements intérieurs.

Les groupes islamistes radicaux de la Gamaa islamiya ou du Jihad, responsables de sanglants attentats en Égypte, furent parmi ses premières cibles dans les années 1990. La répression qui s'abattit sur eux fut sans pitié.

Fort notamment de bonnes relations avec les Américains, cet homme incontournable accumule les «missions spéciales».

Il est chargé de dossiers de politique étrangère dont celui du conflit israélo-palestinien, qu'il gère en première ligne, davantage que le chef de la diplomatie de l'époque, Ahmed Aboul Gheit.

Il a su opérer dans l'ombre, parlant avec Israël et son ennemi juré, le Hamas, pour en finir avec la meurtrière guerre de Gaza fin 2008.

Il détient le record du nombre de trêves israélo-palestiniennes, parfois à la vie courte, conclues depuis la deuxième intifada palestinienne en 2000.