«Police, armée, peuple, d'une seule main!»: à quelques kilomètres des manifestants qui conspuent l'armée et son chef sur la place Tahrir au Caire, plusieurs milliers d'Égyptiens sont descendus eux aussi vendredi dans la rue pour soutenir les militaires au pouvoir.

«Maréchal, on t'aime»! , «A bas Tahrir!», clame une foule en délire, en référence au maréchal Hussein Tantaoui, chef du Conseil suprême des forces armées (CSFA) au pouvoir, en réponse à Tahrir où des dizaines de milliers de manifestants scandent depuis une semaine «A bas l'armée!».

Les sympathisants pro-militaires se sont massés sur la place - et le pont - d'Abbassyia, au nord-est de la place Tahrir, criant «Que le monde sache ce qu'est la vraie Égypte!» ou encore «À bas (Mohamed) el-Baradei!», ancien chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et candidat déclaré à la présidence de la République qui a reçu un bain de foule à Tahrir vendredi.

D'autres exprimaient leur ras-le-bol des manifestations successives.

«Je dis aux jeunes de Tahrir: 'merci, maintenant ça suffit'», affirme à l'AFP Khaled Bchir, 37 ans. «Ils nous ont donné de belles leçons» grâce à la révolution qui a renversé Hosni Moubarak le 11 février, «mais il faut que cela s'arrête».

Dans cette ambiance survoltée, les rares journalistes locaux et étrangers sont assaillis de toutes parts, certains manifestants leur affirmant qu'ils ne sont pas les bienvenus.

Mais beaucoup, comme Mohamed Abdelhamid, tiennent malgré tout à exprimer leur avis.

«Moi aussi j'ai participé à la révolution contre l'ancien régime», dit-il.

«Mais les gens qui sont aujourd'hui à Tahrir ne représentent pas le peuple égyptien», ajoute-t-il.

Ibrahim Charif, 64 ans, dit avoir combattu avec Tantaoui pendant la guerre de 1973 (guerre de Kippour) contre Israël: «Nous avons vaincu Israël, notre armée est toute puissante et aujourd'hui, l'armée est responsable de notre sécurité».

«Les jeunes à Tahrir sont nos enfants, mais ils manquent de culture politique. Qui nous protègerait si l'armée est affaiblie?», ajoute M. Charif.

Les manifestants à Tahrir reprochent justement à l'armée de ne pas les avoir protégés lors des récents heurts avec les forces de l'ordre qui ont fait 41 morts en près d'une semaine, notamment aux abords de cette place emblématique qui avait été occupée par la foule en début d'année jusqu'au départ de M. Moubarak.

Durant la révolte populaire de janvier/février, l'institution militaire, au zénith de sa popularité, était saluée pour ne pas avoir participé, contrairement à la police, à la répression du mouvement anti-Moubarak, avant que le CSFA ne soit accusé de perpétuer la politique du président déchu.

Mais de nombreux Égyptiens voyaient aussi en elle la meilleure garante d'une transition en bon ordre vers la démocratie, promise par les chefs militaires.

«Même moi qui est analphabète, je sais que les choses ne peuvent pas s'arranger en 10 mois», s'insurge Amina Hanaf, mère de trois enfants.

La foule a investi une place de ce quartier de classes moyennes, ainsi qu'un pont qui la surplombe, avec une marée de drapeaux égyptiens portant l'inscription «le peuple et l'armée», des femmes, des hommes et des enfants, venus en famille, réclament «la légitimité» et la «stabilité».

L'agence officielle Mena a également fait état d'une manifestation de centaines de personnes en soutien aux militaires à Alexandrie (nord).

L'institution militaire a engagé récemment une contre-offensive pour regagner du terrain dans l'opinion au nom de la stabilité du pays.

Un membre du CSFA, le général Mamdouh Chahine, a déclaré jeudi que «si nous quittons le pouvoir dans les circonstances actuelles, cela voudrait dire que le seul pilier de l'État qui reste s'effondre».