Des dizaines de milliers d'Égyptiens ont bravé le couvre-feu samedi au cinquième jour de leur révolte sanglante sans précédent contre le régime du président Hosni Moubarak qui a nommé pour la première fois en 29 ans de règne un vice-président ainsi qu'un nouveau premier ministre.

Le mouvement de contestation populaire, entamé mardi et qui ne paraît pas s'essoufler, a fait au moins 102 morts, en majorité des civils, selon des sources de sécurité et médicales. La contestation a également fait des milliers de blessés, selon des sources médicales.

En soirée et malgré le couvre-feu, des milliers de personnes étaient toujours massées dans les rues du Caire et dans d'autres villes du pays après une journée marquée par des heurts sanglants entre manifestants et forces de sécurité qui ont fait usage de gaz lacrymogènes et de balles caoutchoutées.

Peu après minuit, un millier de manifestants occupaient toujours la place de la libération, dans le centre de la capitale, où des graffitis «Non à Moubarak !» et «La chute de Moubarak !» étaient tracés sur un char, selon des journalistes de l'AFP.

L'armée appelée en renfort a, de son côté, appelé la population à se protéger des pillages. Des comités de quartier, armés de gourdins et de barres de fer, se sont constitués pour protéger la population des pillards dévalisant les commerces, vandalisant les maisons et semant la terreur.

L'opposant le plus en vue, l'ex-chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique et prix Nobel de la paix Mohamed ElBaradei, jugeant insuffisantes les nouvelles nominations, a de nouveau appelé M. Moubarak à partir sans délai pour le bien de l'Égypte.

La communauté internationale a multiplié les appels aux réformes et à l'arrêt des violences, cependant que M. Moubarak, 82 ans, dont l'avenir semblait sombre, donne l'impression de vouloir s'accrocher au pouvoir.

Le président américain Barack Obama a de nouveau exhorté le pouvoir de M. Moubarak, qui est le principal allié des États-Unis dans le monde arabe, à mettre en oeuvre des réformes et à faire preuve de retenue.

Dans une déclaration commune, les dirigeants de France, d'Allemagne et de Grande-Bretagne ont appelé le régime à «engager un processus de changement» face aux revendications de son peuple et à éviter «l'usage de la violence».

Ces appels sont intervenus après la nomination d'un des proches de M. Moubarak, le chef des Renseignements Omar Souleimane, aux fonctions de vice-président, premier poste du genre depuis son arrivée au pouvoir en 1981, et celle du ministre de l'Aviation, le général Ahmad Chafic, à la tête du gouvernement.

M. Chafic est apprécié par l'élite et l'opposition et des analystes avaient évoqué son nom pour éventuellement succéder, en cas de vacance du pouvoir, à M. Moubarak qui a dirigé l'Égypte d'une main de fer en maintenant l'état d'urgence depuis 29 ans.

Les annonces de M. Moubarak, jugées en deçà des revendications de la population pour de meilleures conditions de vie -lutte contre le chômage et la pauvreté et la liberté d'expression-, n'ont pas entamé la détermination de la rue à le chasser.

L'armée, épine dorsale du régime, présente avec ses blindés pour donner main forte à une police dépassée, a enjoint la population de respecter le couvre-feu instauré au Caire, à Alexandrie et à Suez, de 14 h à 6 h GMT, jusqu'à nouvel ordre.

Aux cris de «Moubarak va-t-en !» ou «Celui qui aime l'Égypte ne détruit pas l'Égypte !», des dizaines de milliers de manifestants, déchirant ses portraits et conspuant le nom du président, se sont rassemblés dans l'après-midi au coeur de la capitale malgré l'entrée en vigueur du couvre-feu.

«Ni Moubarak, ni Souleimane», a réagi la foule.

Pour Oussama, l'un des manifestants, «Souleimane est l'homme de Moubarak et cela ne reflète pas un signe de changement».

Samedi, au moins 23 personnes ont été tuées dans les différentes villes. Vendredi, la journée a été, avec 62 morts, la plus sanglante depuis le début de la contestation inspirée par la révolte ayant chassé Zine El Abidine Ben Ali du pouvoir à Tunis.

À Rafah et à Ismaïliya, sur le canal de Suez, les sièges de la Sûreté de l'État ont été attaqués par des milliers de manifestants, et à Alexandrie (nord) plusieurs commissariats ont été incendiés. À Mansoura, sur le Delta du Nil, la police a recouru à des gaz lacrymogènes pour disperser des milliers de manifestants, et l'armée s'est déployée en soirée.

Selon les services de sécurité, 60% des postes de police du pays ont été incendiés, dont 17 au Caire.

Dans des quartiers aisés du Caire, objet de pillages, des expatriés ont commencé à partir craignant pour leur sécurité, soit pour l'aéroport, soit pour trouver refuge dans de grands hôtels bien protégés.

En outre, les services de téléphonie mobile, coupés comme l'Internet pour contrecarrer les manifestations, étaient partiellement rétablis. Mais l'Internet n'était toujours pas accessible.

Seule note positive pour M. Moubarak, la «solidarité» exprimée par les dirigeants saoudien et palestinien.

Face à l'escalade, la Bourse du Caire restera fermée dimanche ainsi que les banques.