Disant répondre à «l'appel du peuple», un général dissident libyen qui a longtemps résidé aux États-Unis, Khalifa Haftar, mène depuis la mi-mai une offensive musclée contre des groupes islamistes radicaux à Benghazi, dans l'est du pays. L'initiative controversée du militaire, qui se défend d'avoir des ambitions politiques personnelles, survient dans le contexte où l'État libyen est incapable d'imposer son autorité et où les élus se déchirent. Explications, en quatre temps.

1. Un attentat terroriste

Le général dissident de 71 ans a été la cible hier d'un attentat-suicide qui aurait bien pu lui coûter la vie. Un kamikaze qui circulait à bord d'une voiture piégée a frappé une villa en périphérie de Benghazi utilisée comme quartier général par ses forces, tuant au passage trois soldats qui cherchaient à le stopper. Un commandant a précisé à l'Agence France-Presse que le chef militaire avait été «légèrement blessé» lors de l'attaque. Son porte-parole a attribué à des «groupes terroristes et extrémistes», sans plus de précision. L'attaque est survenue au lendemain d'affrontements musclés dans la ville avec des groupes islamistes lourdement armés, qui ont promis d'avoir la peau de Khalifa Haftar. Les djihadistes d'Ansar Asharia, qui sont soupçonnés d'avoir joué un rôle dans l'attentat contre l'ambassade des États-Unis à Benghazi en 2012, ont notamment menacé à plusieurs reprises, par communiqués interposés, cet «ennemi de l'islam».

2. Un passé tortueux

Khalifa Haftar est né dans l'est de la Libye en 1943. Il suit une formation militaire à Benghazi avant d'aller la compléter en Union soviétique. Le militaire soutient Mouammar Kadhafi lors du renversement du roi Idriss, à la fin des années 60, et est promu général. Leur relation tourne au vinaigre à la suite d'une opération ratée en 1986, au Tchad, durant laquelle Haftar est fait prisonnier avec plusieurs centaines de soldats. Le régime libyen abandonne le groupe, qui est ensuite recruté par le gouvernement de Ronald Reagan en vue de tenter de renverser Kadhafi. Washington se voit cependant forcé, quelques années plus tard, d'exfiltrer les soldats aux États-Unis à la suite d'un changement de régime au Tchad. Khalifa Haftar vit 20 ans en Virginie, non loin de Langley, quartier général de la CIA, avant de retourner en Libye en 2011, alors que la révolution bat son plein. Il devient l'un des chefs militaires du Conseil national de transition, mais ne réussit pas à s'imposer comme chef d'état-major des forces armées après la chute de Mouammar Kadhafi.

3. Quels objectifs poursuit-il?

En février 2014, Khalifa Haftar annonce dans un message télévisé que le gouvernement libyen est suspendu, sans que sa déclaration ne soit véritablement suivie d'effets. En mai, il revient à la charge en annonçant une vaste offensive pour «libérer le pays» des terroristes, tout en réclamant l'établissement d'un nouveau conseil présidentiel pour remplacer le Parlement, miné par des déchirements entre islamistes et laïques et des rivalités régionales. Samir Saul, spécialiste du monde arabe à l'Université de Montréal, estime que l'ancien général est un exemple type «d'expatrié cultivé par les pays occidentaux» en prévision d'une éventuelle prise de pouvoir. Bien que les États-Unis se soient dissociés de son offensive militaire, l'analyste y voit clairement la main de Washington, qui cherche, selon lui, à contrer l'effet des groupes islamistes extrémistes présents dans le pays.

4. Le général dissident peut-il s'imposer?

Les opérations militaires menées par les troupes fidèles au général Khalifa Haftar à Benghazi suggèrent qu'il bénéficie d'appuis non négligeables, y compris au sein de l'armée de l'air. Rien ne laisse croire pour autant, selon M. Saul, qu'il dispose des ressources requises pour éradiquer des groupes islamistes puissamment armés et ramener le calme dans un pays en pleine dérive. «Il s'ajoute aux autres groupes armés qui tentent de tirer la couverture de leur côté», estime l'expert, qui ne voit aucune possibilité à court terme pour la Libye de sortir du chaos. La classe politique se déchire, et les élections législatives annoncées pour la fin du mois de juin ne changeront rien à l'incurie de l'État. «Elles n'auront aucun impact réel parce que le pouvoir décisionnel est à la pointe du fusil», résume M. Saul. Il faudrait, dit-il, retirer les armes en circulation, mais rien n'indique que le reste du monde est suffisamment préoccupé, pour l'heure, par la situation dans le pays pour agir en ce sens.