Après la disparition de Mouammar Kadhafi, nombreux ont été les journalistes à s'interroger sur le sort de ses amazones, ces jeunes femmes qui assuraient sa protection et posaient volontiers pour les caméras. La réponse qu'a trouvée la journaliste du Monde Annick Cojean donne froid dans le dos. Viol, torture et humiliation au menu.

Pendant que la Libye était en liesse il y a un an, au lendemain de la mort de Mouammar Kadhafi, Soraya, jeune Libyenne de 22 ans, broyait du noir. Non pas qu'elle aurait souhaité un meilleur sort pour le dictateur qui a fait régner sa loi sur la Libye pendant 41 ans. Mais elle aurait aimé avoir la chance de témoigner contre lui.

Elle aurait voulu raconter comment le Roi des rois d'Afrique l'a repérée dans son école lorsqu'elle n'avait que 15 ans et comment il a décidé de faire d'elle son esclave sexuelle. En la violant à toute heure du jour et de la nuit. En la forçant à boire, à fumer et à prendre de la cocaïne. En la battant à sa guise.

Elle aurait voulu expliquer devant un tribunal tout le système mis en place pour assouvir les lubies sexuelles presque insatiables d'un dictateur désaxé. Le sous-sol de son château fort de Bab Al-Azizia où des dizaines de jeunes Libyennes et elle ont été séquestrées pendant des années. Et la vraie nature des amazones, ces gardes du corps de Kadhafi qui étaient présentées au monde comme une preuve de son féminisme- mais qui étaient en fait, pour la plupart, des esclaves sexuelles déguisées en soldates.

Une première

Kadhafi mort et enterré, la jeune femme a plutôt décidé de confier son histoire à Annick Cojean, journaliste au Monde. «C'est la première fois qu'on a des éléments palpables sur une facette de Kadhafi qu'on ne connaissait pas», note la journaliste qui, après avoir recueilli en détail le témoignage de Soraya, a enquêté sur les crimes sexuels de l'ancien régime.

Le résultat de ses recherches a pris la forme d'un livre, Les proies dans le harem de Kadhafi, lancé hier au Québec. Un récit enlevant, choquant et qui, espère l'auteure, sera entendu autant par la justice libyenne que par la Cour pénale internationale.

Car si Kadhafi est mort, plusieurs de ses complices, eux, sont toujours vivants, note Mme Cojean, qui souligne que la maquerelle en chef de Kadhafi, une Touareg du nom de Mabrouka, est en garde à vue en Libye.

Malgré les témoignages accablants qu'elle a recueillis auprès de plusieurs victimes de Kadhafi, mais aussi de certains de ses anciens sbires, Annick Cojean sait que la bataille de Soraya pour faire connaître la vérité sera longue. Et difficile.

« Trop honteux »

«Tous les crimes à l'égard des hommes commis par Kadhafi et son régime seront recensés. Mais ceux commis contre les femmes sont jugés trop honteux, trop graves pour en parler», estime la reporter, qui s'est heurtée à une montagne de mutisme pendant son enquête, menée dans le plus grand secret pendant plus de deux mois et demi, dans la Libye postrévolutionnaire.

«Quand je faisais des entrevues avec des victimes, elles me demandaient de ne pas citer le nom de la ville. Le viol est un immense tabou en Libye et par tabou, on parle de question de vie ou de mort. Une fille violée déshonore sa famille, mais aussi sa tribu. L'offense tombe sur toute la ville. Et plusieurs pensent que le crime d'honneur est la seule option pour laver cette offense», expose Mme Cojean, en ajoutant que son enquête démontre que des milliers de femmes ont subi la violence de Kadhafi. «On lui amenait quatre filles par jour.»

Toutes les femmes de Libye pouvaient devenir les proies du dictateur. «Dès qu'une femme se mettait en valeur, elle avait toutes les chances de se faire kidnapper. Les femmes ont pendant des années adopté un profil bas, se sont comportées comme des fantômes pour ne pas être appelées dans la chambre à coucher du Guide», raconte la journaliste, qui a été surprise de constater l'invisibilité des femmes lors de son arrivée en Libye, l'an dernier.

Aujourd'hui, c'est avec un sourire qu'elle regarde les Libyennes prendre leur place sur la place publique, briguer les suffrages, réclamer leur dû. Elle aimerait aussi que les filles du harem de Kadhafi, dont ses anciennes amazones, soient reconnues pour ce qu'elles sont: des victimes pour la plupart. Et non pas des collaboratrices de l'ancien régime.