À quoi s'attendre de ces premières élections générales à se tenir en Libye après 40 ans de dictature? Nous en avons discuté cette semaine avec Hasni Habidi, directeur du Centre d'étude et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM) de Genève, en Suisse.

Q Un universitaire libyen cité par des agences de presse a qualifié cette semaine ces élections de «délivrance». Est-ce votre avis?

R Je crois que la véritable délivrance était la chute de l'ancien régime et la mort de Kadhafi. Pour moi, les élections sont un défi, le plus grand depuis 50 ans. Le pays n'est pas préparé à ce genre d'exercice, et les élections constituent à mon avis l'exercice le plus difficile, celui qui va définir la carte politique de la Libye pour l'avenir dans la mesure où tous les chantiers dépendent du résultat des prochaines élections.

Q Vous dites que le pays n'est pas prêt. Est-ce que ces élections ont lieu trop tôt?

R Un politologue vous dira qu'on ne tient jamais les élections trop tôt dans un processus démocratique. Mais malheureusement, les difficultés politiques, mais surtout en matière de sécurité font que le processus démocratique des élections est, aujourd'hui, presque une opération suicidaire. Des élections exigent d'abord d'assurer la sécurité des urnes et des citoyens. Aujourd'hui, on voit un nombre impressionnant d'armes en circulation et des milices armées. Ces milices refusent de rendre les armes. Le pouvoir ne veut pas entrer en conflit avec ces milices parce que, de son point de vue, elles ont une certaine légitimité révolutionnaire. On ne peut pas anticiper la réaction de ces groupes révolutionnaires.

Q Les attentes des Libyens sur la tenue des élections sont-elles trop élevées?

R Les Libyens, comme tout le monde arabe dans ce printemps démocratique, sont très impatients. Et la transition démocratique déteste l'impatience. Le processus démocratique a besoin de temps pour se construire et se consolider. Devant des défis en matière de sécurité et d'économie, la Libye manque de compétences, les chantiers sont toujours en panne, il y a une grande attente. Les Libyens pensent que les élections sont une clef pour améliorer leur vie quotidienne. Les élections, à mon avis, seront loin de répondre à l'enthousiasme de certains Libyens. Les déceptions risquent d'être aussi importantes que les attentes.

Q À quoi s'attendre des candidats islamistes?

R S'il y a une bonne performance des islamistes, c'est bien sûr à cause de l'ancien régime. En rayant tout, il n'a pu que favoriser les partis qui travaillent dans la clandestinité, ce qui favorise les groupes islamistes. On ne connaît pas grand-chose des Frères musulmans libyens, sinon que leur doctrine est la même que celle des Frères musulmans égyptiens. On sait qu'il y a des groupes radicaux qui sont loin d'être la majorité des Frères musulmans libyens, et qu'ils ont porté les armes contre Kadhafi. [...] L'offre islamiste existe, elle est la mieux structurée, mais il y a un émiettement du vote islamiste à cause des autres partis. Il est illusoire de mesurer leur emprise réelle sur la société libyenne en l'absence d'expérience démocratique.