Akram Elsadawie, 30 ans, travaille comme ingénieur informatique pour une compagnie pétrolière allemande à Tripoli. Il y a six mois, il a joint clandestinement les rangs des rebelles, préparant le jour où les insurgés entreraient dans la capitale. Le moment tant attendu est arrivé samedi soir, quand lui et ses compères ont pris le contrôle de leur quartier. Nous lui avons parlé jeudi matin, alors qu'il se trouvait dans sa maison de Tripoli.

Les armes étaient arrivées depuis deux semaines, par la mer ou par les montagnes de Nefoussa, au sud-ouest de Tripoli. À 20h30, samedi soir, Akram Elsadawie et les autres rebelles de son quartier tripolitain ont pris les loyalistes de court en s'emparant de leurs voitures et en érigeant des postes de contrôles aux intersections. Quatre heures plus tard, les loyalistes avaient fui leur secteur, ou ont été fait prisonniers. La voie était libre pour l'arrivée des rebelles, le lendemain.

«Si les forces avaient été retardées dimanche, ça aurait été catastrophique», raconte l'informaticien trentenaire. Chaque quartier était responsable de libérer ses rues des forces loyales au colonel Kadhafi. Certains quartiers, dit M. Elsadawie, ont tout de même attendu mardi avant de prendre cette initiative. A-t-il eu du mal à convaincre ses voisins de se joindre au mouvement constestataire? «Non», dit-il en s'esclaffant. «Les gens de mon quartier étaient en majorité du côté des rebelles.» Samedi soir, dit-il, les gens sortaient de toutes les maisons pour participer au raid visant à évincer les loyalistes du quartier.

Akram Elsadawie n'était pas, avant le 20 février, un contestataire actif du régime Kadhafi. Il est néanmoins descendu dans la rue quand les manifestations lancées le 17 février à Benghazi ont finalement atteint Tripoli. «Mais quand nous sommes sortis dans la rue, nous ne savions pas que M. Kadhafi allait nous accueillir aussi brutalement avec de vraies balles...» Les contestataires se sont donc tus.

Le 3 mars, l'internet a été coupé dans la capitale et les Tripolitains ont disparu des réseaux sociaux comme Twitter, le rendez-vous bouillonnant des révolutionnaires arabes depuis le début des soulèvements tunisiens, égyptiens, libyens et autres. Les infos arrivaient par la télé satellite, les communications avec Benghazi, ou les expéditions en Tunisie. Pendant six mois, il n'a pas travaillé mais son employeur a continué à lui verser son salaire. «On restait à la maison, on avait peur de sortir. On a lu beaucoup de livres!»

L'internet a été rétabli dimanche et les Tripolitains ont commencé à réapparaître sur le réseau de microblogues, dont Akram Elsadawie, alias @flyingbirdies. «On avait déjà accès par téléphone satellite, mais on avait peur de se faire repérer.»

Des prisonniers à l'école

Depuis samedi soir, donc, les rebelles patrouillent toujours son secteur. «Les prisonniers sont gardés à l'école du quartier, dit M. Elsadawie. Les gens cuisinent pour eux. Ils sont bien traités.»

Qui sont ces prisonniers? «Des gens payés pour soutenir Kadhafi. Il leur versait 500 dinars par mois comme salaire. Ce sont des lâches, dit-il. Depuis six mois, ils ont terrorisé les gens du quartier, à la recherche d'anti-Kadhafi. Ils frappaient les gens et en ont emmené en prison. J'ai été arrêté, mais ils n'ont rien trouvé chez moi. J'avais caché les choses dans une ferme, à 20 km de la maison.»

Les prisonniers seront jugés, dit M. Elsadawie. «Mais seulement quand on aura capturé Kadhafi. Ce n'est pas le moment pour l'instant.»

Kadhafi se trouve-t-il toujours, selon lui, à Tripoli? «Je l'espère. On veut le capturer vivant, pour que les mères des martyrs voient que le sang de leur fils n'a pas été versé pour rien.» Il dit avoir confiance dans le Conseil national de transition pour reprendre en main le pays,

«Les gens ont espoir que ça change, mais ils savent que ça va prendre du temps. Beaucoup de temps. Pour voir un changement réel, cela prendra des années.» Les secteurs de l'éducation et de la santé, dit-il, sont à rebâtir. «On n'a pas de secteur de santé ou d'éducation. Si on a mal, on doit aller en Tunisie pour se soigner. Ça fait des années que c'est comme ça.»