Pendant que la rébellion libyenne tente de s'organiser d'est en ouest, Mouammar Kadhafi semble avoir repris Tripoli, selon les reporters des grandes chaînes internationales invités dimanche par le gouvernement à une «visite guidée». Les «unités de protection du régime», qui sont sous le commandement direct de Kadhafi et de ses fils, sont déployées partout dans la capitale et en périphérie.

Si, devant la menace des mitrailleuses, les Tripolitains choisissent sagement de rester à la maison, un autre genre de sortie fait maintenant la manchette. Hier, ont rapporté CNN et AFP, un appareil de l'aviation libyenne a bombardé un dépôt de munitions tombé aux mains des rebelles près d'Ajdabiya, à 150 km à l'ouest de Benghazi, où s'est établi ce «conseil national» qui, pour l'heure, tient lieu de gouvernement dans la Libye «libérée».

«Nous savons que les forces de sécurité ont tiré avec des armes lourdes sur des manifestants pacifiques», a déclaré pour sa part la secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, hier à Genève, où elle participait à l'ouverture de la session annuelle du Conseil des droits de l'homme. «Le colonel Kadhafi, a ajouté Mme Clinton, a aussi ordonné l'exécution de soldats qui avaient refusé de tirer sur leurs compatriotes.»

Après les sanctions administratives - interdiction de voyage, gel des avoirs, etc. - imposées samedi par l'ONU, la communauté internationale discute maintenant des mesures à prendre dans le cas d'une escalade ou de la persistance du «Guide de la révolution» à vouloir rester au pouvoir.

Zone d'interdiction aérienne

La première option militaire, que prônent autant Nicolas Sarkozy en Europe que le sénateur républicain John McCain aux États-Unis, est l'établissement d'une zone d'interdiction aérienne. Une no-fly zone (NFZ) empêcherait l'aviation de Kadhafi de s'attaquer tant aux civils pacifiques qu'aux rebelles armés et aux installations militaires passées entre leurs mains. Tout en empêchant Kadhafi et son clan de quitter le pays par voie aérienne, une NFZ, entre-temps, rendrait difficile le réapprovisionnement des forces qui leur sont encore loyales et assurerait, partiellement du moins, la sécurité des installations pétrolières.

Le défi d'une zone d'exclusion aérienne réside non pas dans son concept, mais dans son application: Qui? Sous l'autorité de quelle organisation? À partir de quelles bases? En 1992, après la première guerre du Golfe, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et la Turquie avaient établi une NFZ dans le nord de l'Irak pour protéger les territoires kurdes des attaques de l'aviation de Saddam Hussein. L'exclusion a été appliquée avec succès jusqu'en 2003 parce que les appareils de la coalition étaient basés en Turquie, pays limitrophe du territoire à protéger. La zone d'exclusion dans le sud de l'Irak, par contre, s'était avérée plus difficile à maintenir pour protéger les chiites qui vivaient dans des territoires que contrôlait l'armée irakienne au sol.

D'où décolleraient les intercepteurs pour accomplir la même mission au-dessus de la Libye? De l'Italie - qui vient de rompre son traité d'amitié avec Kadhafi - ou de la plus lointaine France? L'Égypte représenterait la base parfaite, mais le nouveau conseil militaire devrait choisir un apport plus discret à une opération qui se ferait sous le commandement de l'OTAN.

L'Égypte, par exemple, pourrait ouvrir son espace aérien aux chasseurs F-18 du porte-avions USS Enterprise, qui est entré dans la mer Rouge le 15 février par le canal de Suez. Sans faire mention du «Big E» ou de quelque autre flottille - les États-Unis n'ont actuellement aucun porte-avions en Méditerranée -, le Pentagone a annoncé hier un «redéploiement» de certaines unités de la US Navy, «pour appuyer toute mesure dont décidera le président Obama».

Le «Bédouin», entre-temps, se voit acculé à la mer autant à Tripoli qu'à Surt, seule autre ville d'importance qu'il semble tenir. Avec les rebelles à moins d'une heure de son palais, mais sans véritable général, la question se pose: pour qui le temps joue-t-il?