Cela devait être le « vendredi de la Libération «. Le jour du départ pour Mouammar Kadhafi, celui des grandes manifestations après la prière du vendredi. Mais le scénario qui avait si bien fonctionné en Tunisie et en Égypte n'a pas eu lieu.

Le dictateur libyen s'accroche au pouvoir. Affichant un air de défi, le poing levé, il s'est adressé à ses partisans du haut des remparts qui surplombent la place Verte, au centre de la capitale, Tripoli.

« Chantez, dansez et préparez-vous «, a-t-il lancé aux centaines de personnes qui agitaient le drapeau vert de la Libye et des portraits à son effigie. « Nous allons nous battre et nous les vaincrons! «

Le dictateur s'accroche, mais l'étau se resserre autour de lui. Lâché par ses diplomates, critiqué à l'étranger et attaqué par ses opposants, le « guide de la révolution « ne guide plus qu'une fraction de son peuple. Sa révolution est menacée par une autre, qui gronde et enfle de jour en jour.

Et pourtant, hier encore, le colonel Kadhafi a choisi de réprimer la contestation dans le sang. Selon des témoignages recueillis par différents médias à Tripoli, les forces de l'ordre ont été déployées dès le début de la journée autour des mosquées de la capitale pour étouffer les manifestations.

« À la sortie de la prière, il y avait deux rangées de policiers «, a raconté un témoin sur le web. « Ils nous ont dit de partir, puis ils ont commencé à tirer. Les manifestants ont couru dans les rues transversales, ils avaient peur de bouger. «

Des milliers de morts

Des miliciens postés sur des toits ont tiré sur des civils. Des voitures ont foncé droit sur des foules. C'était le chaos dans plusieurs quartiers de Tripoli, l'un des derniers bastions du régime. Les opposants, qui contrôlent déjà l'est du pays, menacent maintenant de marcher sur la capitale.

À Benghazi, foyer de la contestation, des milliers d'opposants ont célébré la libération en agitant non pas le drapeau vert, mais celui de l'ancienne monarchie du roi Idriss Senoussi, devenu le symbole de l'insurrection. Même scénario à Tobrouk, où les manifestants scandaient : « Libye libre! Kadhafi dehors! «

L'ambiance était fort différente dans les villes de l'ouest du pays, déchirées par la violence. À Zawiyah, les combats auraient fait des dizaines de victimes.

Depuis le début du soulèvement, « le nombre de morts se compte par milliers et non par centaines «, a estimé l'ambassadeur adjoint de la mission libyenne à l'ONU, Ibrahim Dabbashi, qui a fait défection en début de semaine.

Il a été suivi hier par les ambassadeurs libyens à Paris, au Portugal, en Suède et à l'UNESCO. De plus, la mission libyenne auprès des Nations unies à Genève a démissionné en bloc pour protester contre la répression du régime. Plus isolé que jamais, Kadhafi a même été lâché par Kadhaf al-Dam, son cousin et proche conseiller.

Sanctions

De son côté, la communauté internationale a commencé à adopter plusieurs initiatives pour tenter de mettre un terme au bain de sang.

À Washington, le président Barack Obama a signé un décret gelant les avoirs et bloquant les propriétés aux États-Unis du colonel Kadhafi et de ses quatre fils.

En parallèle, le conseil de sécurité de l'ONU s'est réuni pour discuter de sanctions et de la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye. Les consultations se poursuivent aujourd'hui.

Réunis d'urgence en Hongrie, les membres de l'Union européenne ont décrété un embargo sur les armes, le gel d'avoirs et l'interdiction de visas à l'encontre du clan Kadhafi.

Mais rien de tout cela ne semble faire plier le dictateur. « S'il le faut, nous ouvrirons tous les dépôts d'armes pour armer le peuple «, a-t-il déclaré en brandissant le poing au ciel.

Abandonné par ses alliés, il peut au moins compter sur son fils, Saïf Al-Islam. En entrevue à la télévision turque, celui qui se présentait naguère comme un réformateur démocrate a soutenu que l'exil était inconcevable. « Notre plan A, c'est de vivre en Libye et d'y mourir. Notre plan B, c'est de vivre en Libye et d'y mourir. «