Les raids aériens et les violents bombardements ont semé la panique mercredi parmi les habitants de la ville syrienne d'Alep qui cherchaient éperdument un abri, les présidents russe et turc estimant que les violations d'une trêve conclue la veille devaient cesser.

L'accord de mardi sous la houlette de Moscou et d'Ankara devait permettre l'évacuation des insurgés et des milliers de civils affamés et désespérés de pouvoir sortir de la poignée des quartiers encore aux mains des rebelles.

Mais les violences ont repris de plus belle après une pause de plusieurs heures, poussant des habitants terrifiés à fuir à la recherche d'un abri, selon un correspondant de l'AFP qui a vu beaucoup de blessés dans la rue alors que les raids aériens du régime se poursuivaient en fin de journée.

«La situation est horrible», a lancé le militant Mohammad al-Khatib, contacté par l'AFP à Alep via internet. «Les blessés et les morts sont dans les rues, personne n'ose les retirer. Le bombardement est continu. C'est indescriptible».

L'allié russe du président Bachar al-Assad a accusé les rebelles d'avoir déclenché à nouveau les hostilités, tandis que le parrain de l'opposition, la Turquie, blâmait les troupes du régime et leurs alliés.

La vingtaine de bus qui devaient prendre en charge les évacués à partir de 03H00 GMT mercredi sont restés stationnés dans le secteur gouvernemental de Salaheddine.

Des milliers d'habitants avaient pourtant attendu en vain d'y monter dans le froid et sous la pluie. Beaucoup avaient passé la nuit sur les trottoirs, faute d'abris.

Une perte d'Alep marquera la fin de la rébellion dans cette ville symbole dont elle avait conquis la partie orientale en 2012. En revanche, elle représentera la plus importante victoire du pouvoir et de ses alliés russe et iranien depuis le début de la guerre en 2011.

Rendue possible par le soutien de la Russie, la reprise totale d'Alep permettra au régime de contrôler les cinq plus grandes villes de Syrie, avec Homs, Hama, Damas et Lattaquié.

La Russie et l'Iran, autre fidèle allié du régime Assad, doivent participer le 27 décembre à Moscou à une réunion avec la Turquie pour discuter d'une solution politique au conflit en Syrie qui a fait plus de 312.000 morts depuis mars 2011, selon Ankara.

Diplomatie par téléphone

Selon l'influent groupe rebelle Noureddine al-Zinki, l'accord concernant Alep prévoyait l'évacuation en premier «des blessés et des civils», suivis des insurgés avec leurs armes légères, vers les régions rebelles des provinces d'Alep ou d'Idleb.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan et son homologue russe Vladimir Poutine ont convenu lors d'un entretien téléphonique que les violations du cessez-le-feu à Alep devaient cesser, se disant prêts à reprendre «dès que possible» l'évacuation des civils et des rebelles, selon une source présidentielle turque.

«Lorsqu'un accord sera conclu, les autorités syriennes l'annonceront», a affirmé une source proche du régime.

D'après un responsable rebelle, le régime syrien et l'Iran «veulent lier l'accord» à une levée du siège par les rebelles des villages de Fouaa et Kafraya dans la province d'Idleb (nord-ouest). D'ailleurs ces villages ont été bombardés dans l'après-midi par les rebelles, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH).

Une source proche du pouvoir a elle accusé les rebelles de vouloir porter de 2000 à 10 000 le nombre des personnes concernées par l'évacuation.

«Environ 100 000 personnes sont encore piégées sur un territoire de 5 km carrés» à Alep, selon Médecins du Monde.

Les chefs de la diplomatie russe et américaine se sont également parlés au téléphone, Sergueï Lavrov appelant John Kerry à faire pression sur les rebelles pour les inciter à quitter la ville, selon la diplomatie russe.

Washington et Paris ont appelé à des «observateurs internationaux» pour superviser une éventuelle évacuation.

«L'Iran, 1ere puissance régionale»

Le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'Homme a fait état d'informations selon lesquelles «au moins 82 civils» auraient été tués dans les quartiers repris par l'armée à Alep, suscitant un tollé international.

La Commission d'enquête sur la Syrie de l'ONU a par ailleurs indiqué mercredi que des groupes rebelles, dont l'ancienne branche syrienne d'Al-Qaïda, empêcheraient des civils de quitter les quartiers assiégés d'Alep et s'en serviraient comme boucliers humains.

Ce groupe a annoncé mercredi que l'un de ses kamikazes avait fait exploser une voiture piégée au niveau d'une position du régime dans le sud d'Alep.

Plus de 465 habitants dont 62 enfants ont péri à Alep-Est, selon l'OSDH, depuis le début le 15 novembre de l'offensive des prorégime qui contrôlent désormais la quasi-totalité de la ville. Côté gouvernemental, 142 civils ont été tués par les tirs rebelles.

Le président iranien Hassan Rohani a félicité son homologue syrien et salué sa «très grande victoire». Et pour le général Yahya Safavi, haut conseiller du guide suprême iranien, son pays peut désormais se targuer d'être «la première puissance de la région».

Face à l'impuissance de la communauté internationale, le chef de la diplomatie turque Mevlut Cavusoglu a annoncé que la réunion tripartite prévue le 27 décembre à Moscou avait pour objectif d'«aboutir à un cessez-le-feu dans tout le pays et à l'ouverture de négociations sur une solution politique» en Syrie.

Il a accusé le régime syrien d'empêcher l'évacuation des civils d'Alep, ajoutant que les affirmations selon lesquelles les rebelles avaient rompu le cessez-le-feu étaient des «mensonges».

A Istanbul, plus d'un millier de manifestants se sont rassemblés devant le consulat d'Iran pour dénoncer les agissements de Téhéran mais aussi ceux de Moscou et demander l'évacuation des civils assiégés à Alep. «Iran, assassin, dégage de la Syrie», scandaient-ils.

À Koweït, quelque 2000 Koweïtiens ont protesté devant l'ambassade de Russie.

À Paris, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées en soutien aux victimes d'Alep.