Le département d'État américain a minimisé lundi la portée des propos du secrétaire d'Etat John Kerry selon lesquels Washington allait devoir négocier avec le président syrien Bachar al-Assad, lequel a dit qu'il attendait à présent «des actes» des États-Unis.

La porte-parole du département d'État, Jennifer Psaki, a démenti toute modification de la position de Washington et a affirmé qu'il n'y avait «pas d'avenir pour un dictateur brutal comme Assad en Syrie».

«Comme nous le disons depuis longtemps, il faut que des représentants du régime d'Assad fassent partie du processus» de paix, a déclaré la porte-parole, déplorant l'absence de négociations visant à «mettre fin à la souffrance du peuple syrien».

Mais «ce ne sera pas et ce ne sera jamais Assad lui-même - et ce n'est pas ce que M. Kerry voulait dire», a-t-elle affirmé.

Dans une interview diffusée dimanche sur la chaîne de télévision américaine CBS, M. Kerry a déclaré: «Au final, il faudra négocier. Nous avons toujours été pour les négociations dans le cadre du processus (de paix) de Genève I».

Et lorsque la journaliste lui a demandé s'il était disposé à parler avec le président syrien, M. Kerry a répondu: «S'il est prêt à engager des négociations sérieuses sur la façon d'appliquer Genève I, bien sûr».

Alliées des États-Unis, la France et la Grande-Bretagne se sont rapidement démarquées des déclarations du secrétaire d'État.

Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a estimé que toute solution qui «remettrait en selle Bachar al-Assad serait un cadeau absolument scandaleux, gigantesque aux terroristes de Daech», acronyme désignant le groupe jihadiste Etat islamique (EI).

Londres a déclaré que M. Assad n'avait «pas sa place» dans l'avenir de la Syrie. Et la Turquie a jugé «inutile» de négocier avec un régime qui selon elle a «tué 200 000 personnes».

Mais la presse officielle syrienne a interprété les déclarations de M. Kerry comme un revirement de la politique américaine, même si M. Assad a souligné qu'il fallait attendre pour voir s'ils seraient suivis d'actions concrètes.

«Nous écoutons toujours les déclarations. Nous devons attendre les actes, et à ce moment-là on décidera», a dit M. Assad à une chaîne iranienne dans des propos reproduits par l'agence de presse officielle syrienne Sana.

Depuis le début de la révolte en mars 2011, le pouvoir syrien a accusé les pays occidentaux, États-Unis en tête, ainsi que les pays du Golfe et la Turquie, de soutenir et de financer le «terrorisme» en Syrie, en référence à la rébellion.

«Au final, il faudra négocier»

Lundi, M. Assad a réaffirmé que tout changement de politique devait entraîner la fin de ce soutien. «Tout changement international qui intervient à ce niveau serait une chose positive s'il est sincère et effectif», a-t-il dit.

Le document de Genève, rédigé à l'été 2012 entre les grandes puissances - notamment les États-Unis et la Russie, qui soutient Damas -, appelait à un gouvernement de transition ayant les pleins pouvoirs, sans évoquer clairement le sort de M. Assad.

Damas a toujours catégoriquement refusé tout départ d'Assad, alors que l'opposition affirme qu'il n'a aucun rôle à jouer dans l'avenir du pays.

La presse syrienne n'a pas caché sa satisfaction. «C'est une nouvelle reconnaissance de la légitimité du président Assad, de son rôle clé, de sa popularité», selon le quotidien privé Al-Watan, proche du pouvoir.

Le journal a estimé que les propos de M. Kerry ouvraient «une nouvelle étape», évoquant la possibilité qu'un «émissaire américain» se rende «à Moscou le 6 avril pour participer aux efforts russes visant à trouver une solution à la crise syrienne».

Les propos de M. Kerry sont intervenus après ceux du directeur de la CIA John Brennan, selon qui les États-Unis ne souhaitent pas un effondrement des institutions à Damas, qui laisserait le champ libre aux extrémistes islamistes.

«Tueur d'enfants»

La consternation prédominait lundi du côté de l'opposition et des militants anti-régime.

La coalition de l'opposition en exil a rappelé que «la chute du régime et de tous les responsables des crimes commis contre le peuple syrien» restait son «principal objectif».

Des militants ont qualifié les propos de «bombe», accusant M. Kerry de proposer un dialogue avec un «tueur d'enfants». Certains d'entre eux ont lancé sur Twitter le mot-clé KerryNoNegoWithKiller (Kerry pas de négociations avec le meurtrier).

L'ONG Amnesty International a accusé mardi le pouvoir syrien d'avoir violé le droit international en tuant une centaine de civils lors de bombardements en novembre sur Raqqa, ville tenue par l'EI.

Le ministère américain de la Défense s'est pour sa part dit «préoccupé» par les accusations d'utilisation de chlore par l'EI, sans être en mesure de les confirmer.