Déjà arrachés à leur pays par la guerre et vivant dans une situation précaire dont ils ne voient pas la fin, les réfugiés syriens s'apprêtent à vivre un hiver encore plus rude. Hier, le Programme alimentaire mondial (PAM) a annoncé qu'il doit leur couper les vivres.

La raison? Les coffres de l'organisme onusien sont presque vides. «On lance des alertes depuis octobre. Le message passe difficilement», a dit à La Presse Elisabeth Byrs, une des porte-parole du PAM, jointe à Genève hier.

À moins de recevoir 64 millions dans les prochains jours, l'organisation ne versera plus de bons d'achat à 1,8 million de réfugiés qui ont trouvé l'asile en Jordanie, au Liban, en Turquie, en Irak et en Égypte. Ces bons leur permettaient d'acheter des vivres dans les supermarchés locaux. «Nous avons tout juste assez pour fournir des vivres aux déplacés qui sont à l'intérieur de la Syrie. Avec les vivres que nous avons achetés, nous pouvons tenir jusqu'à la fin janvier», ajoute Mme Byrs.

La pire crise du monde

La guerre syrienne, qui dure depuis 2011, a donné lieu à la pire crise humanitaire du monde. Selon les dernières statistiques des Nations unies, 10,8 millions de personnes ont besoin d'assistance humanitaire pour survivre. De ce nombre, 6,45 millions sont des personnes déplacées dans leur propre pays.

En date d'hier, on dénombrait aussi 3,1 millions de réfugiés dans la région immédiate.

Les plus pauvres d'entre eux sont directement touchés par la suspension des bons d'achat du PAM. «C'est la première fois que nous devons suspendre un programme depuis que nous avons commencé nos opérations en Syrie en 2011», remarque Mme Byrs.

Donateurs en retard

Pour maintenir tous ses services au point actuel, le PAM dépense 35 millions par semaine. Le Koweït et les États-Unis ont respectivement versé des dons d'urgence de 500 millions et de 125 millions, mais ces sommes ont vite été dépensées, note la porte-parole.

Pour ses activités en Syrie en 2014, le PAM avait demandé 1 milliard à la communauté internationale, mais n'a réussi à récolter que 47% de cette somme. Par ailleurs, certains pays qui ont promis des dons tardent «à transformer les promesses en argent», dit Mme Byrs, en ajoutant que le Canada - un des principaux donateurs du PAM -, n'est pas au compte des mauvais payeurs.

Les autres organisations de l'ONU qui travaillent en Syrie, incluant le Haut-Commissariat aux réfugiés, ne s'en sortent pas beaucoup mieux. Sur les 2,8 milliards demandés pour l'année qui finit, seulement 45,7% de la somme a été reçue.

Selon Elisabeth Byrs, la situation s'explique en partie par la multitude de crises auxquelles la communauté internationale doit répondre. «Les besoins ne cessent d'augmenter. C'est la première fois que nous faisons simultanément face à cinq crises de priorité niveau 3, qui est le niveau le plus élevé», explique-t-elle. Hormis la Syrie, la République centrafricaine, le Soudan du Sud, l'Irak et la région touchée par le virus Ebola ont aussi des besoins criants.

Les conséquences des coupes pourraient se faire sentir rapidement. Les réfugiés devront faire face à l'hiver avec les minces vivres qu'ils pourront ramasser auprès des gouvernements qui les accueillent - déjà débordés - et auprès d'organisations non gouvernementales présentes dans la région.

La suspension des bons d'achat aura aussi un impact immédiat sur les pays d'accueil. Depuis la mise sur pied du programme, les réfugiés ont pu dépenser 800 millions dans les pays hôtes, des dépenses qui rendent leur présence massive plus acceptable pour les populations locales.

«Une suspension de l'assistance alimentaire va mettre en danger la santé et la sécurité des réfugiés et peut potentiellement causer plus de tensions, d'instabilité et d'insécurité dans les pays hôtes voisins», a dit hier le directeur général du PAM, Ertharin Cousin.