Drapeaux noirs, combattants et emblèmes de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) à chaque coin de rue: pas de doute sur qui fait la loi à Raqqa depuis que cette ville du Nord syrien est devenue la «capitale» de ce groupe djihadiste.

Cette localité, stratégiquement située dans la vallée de l'Euphrate et à moins de 200 km de la frontière irakienne, est devenue selon des militants la base de l'EIIL, qui mène depuis le 9 juin une vaste offensive en Irak.

Depuis l'arrivée en 2012 de ses premiers combattants dans la seule capitale provinciale qui échappe entièrement à Bachar al-Assad, le groupe a imposé progressivement un régime brutal et extrêmement organisé qui a tous les atours d'un État.

Au sommet de la hiérarchie, on trouve des Saoudiens et des Irakiens, et, dans une moindre mesure, des Tunisiens, décrivent experts et militants.

En bas de l'échelle se trouvent Syriens, Égyptiens, Européens et Tchétchènes.

«Quand les djihadistes sont arrivés dans la province, ils formaient un groupe de 10 ou 15. Aujourd'hui, l'EIIL contrôle chaque aspect de la vie à Raqqa», raconte Omar al-Huweidi, écrivain et spécialiste de l'EIIL originaire de Raqqa ayant fui en Turquie.

Le groupe a pris le contrôle total de la ville en mars, après le retrait des forces gouvernementales, défaites par les rebelles. L'EIIL a ensuite chassé les rebelles et instauré sa loi, interdisant à la population de fumer ou d'écouter de la musique.

Désormais, à Raqqa, qui comptait 250 000 habitants avant 2011, «l'EIIL a des bureaux pour tout ce que vous pouvez imaginer: la santé, l'éducation, la sécurité, le secours islamique, la gestion des relations tribales, et même une ambassade de l'émirat d'Alep», explique M. al-Huweidi.

Sans pitié et très intelligent

L'EIIL, une émanation d'Al-Qaïda qui n'a cependant jamais fait allégeance au chef du réseau extrémiste, Ayman al-Zawahiri, a un temps voulu fusionner avec la branche officielle d'Al-Qaïda en Syrie, le front Al-Nosra, mais ce dernier a refusé, ouvrant une guerre fratricide.

«La différence c'est que le front Al-Nosra attend la chute du régime pour imposer les hudud, alors que l'EIIL a déjà commencé» à appliquer ce code de sanctions prévues par la charia, par exemple l'amputation de la main d'un voleur, explique M. Huweidi.

L'émir de l'EIIL à Raqqa, Abou Louqman, est un Syrien sans pitié et très intelligent, selon un habitant.

Autour de lui gravitent des djihadistes étrangers - irakiens et saoudiens - qui, selon des militants, prennent la plupart des décisions.

Selon Hadi Salameh, un militant travaillant à Raqqa, préférant utiliser un pseudonyme, les combattants les plus hauts placés sont irakiens, dont beaucoup d'anciens militaires de Saddam Hussein, renversé par les États-Unis en 2003.

«Les chefs sont choisis selon plusieurs facteurs, notamment s'ils ont fait de la prison en Syrie ou sous d'autres régimes arabes, aux États-Unis, en Irak ou à Guantánamo », précise-t-il.

Le chef de l'EIIL, Abou Bakr al-Baghdadi, aurait lui-même passé quatre ans dans un camp de détention américain. On sait peu de choses sur lui et «le mystère qui l'entoure a contribué au culte de la personnalité» dont il fait l'objet, selon Aymenn Jawad al-Tamimi, universitaire spécialiste des mouvements islamistes.

Salaires en dollars

Sur YouTube fleurissent les anasheed (chants religieux) louant les vertus de M. Baghdadi et appelant les potentielles recrues à lui jurer loyauté, alors que des milliers de jeunes Syriens ont rallié l'EIIL qui leur apparaît comme une alternative radicale et puissante à l'Armée syrienne libre (ASL), peu organisée et mal équipée.

D'autant que l'EIIL, qui ambitionne d'installer un État islamique à la frontière irako-syrienne, est riche et bien armé. Il «paye les salaires de ses membres en dollars», souligne Hadi Salameh.

Le groupe a récemment pris aux forces irakiennes des armes lourdes de fabrication américaine, qu'il a transportées à Raqqa, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme.

Il contrôle aussi des champs de pétrole et de gaz dans la province syrienne de Deir-Ezzor (est), et a mis en place un système de collecte d'impôts dans les zones sous sa domination.

Pour la population, pendant ce temps, la vie à Raqqa est extrêmement difficile.

«Les djihadistes étrangers blessés passent en priorité à l'hôpital. Les Syriens, même les enfants, sont (des citoyens) de deuxième catégorie», raconte M. Salameh.

Mais les habitants doivent se plier au règne de la terreur d'EIIL, d'autant que «des membres-clés de toutes les tribus ont juré loyauté à l'EIIL, plus par peur que par conviction», explique M. Huweidi.