Conrad Sauvé, secrétaire général et chef de la direction de la Croix-Rouge canadienne, était en Syrie la semaine dernière pour voir comment l'organisation humanitaire procède dans le pays en guerre civile, où très peu d'étrangers sont admis. Voici quatre éléments qui ont retenu son attention.

«L'économie s'est effondrée»

La durée et la violence du conflit ont causé l'effondrement de la société et de l'économie syrienne, a constaté M. Sauvé.

«Même au centre de Damas, la capitale, qui n'est pas touchée par les combats, vous parlez au barbier, et il vous dit que son chiffre d'affaires a chuté de 80%. Tous ceux qui avaient de l'argent sont partis au Liban ou ailleurs pour sauver leur famille. Ceux qui restent sont souvent plus âgés, plus vulnérables. Il y a moins d'argent qui circule, tout le monde est affecté.»

«Cela dit, au centre de Damas, on peut avoir l'impression que la vie est quasi normale. Samedi soir, les gens étaient dans la rue. C'est pour éviter les tirs de mortiers, qui tombent au hasard surtout durant l'après-midi. En sortant le soir, les gens pensent qu'ils sont plus en sécurité.»

«Les gens ne voient pas la fin»

Les gens sont brûlés, il y a un essoufflement majeur, a-t-il remarqué. «Il y a une pénurie de médecins. Les médecins ont été ciblés, alors plusieurs ont fui le pays. Sur place, un médecin est venu me voir et m'a dit: "Ça fait trois ans que je tiens un rythme d'enfer. Je ne peux plus. Je ne suis plus capable. »

«Le Croissant-Rouge syrien, notre partenaire sur le terrain, doit augmenter ses capacités: il y a trois ans, ils n'avaient que deux ambulances. Aujourd'hui, ils en ont des dizaines. Tout cela, dans un contexte où l'on ne voit pas de fin au conflit. D'ailleurs, c'est excessivement important pour eux d'avoir des gens de l'extérieur qui disent «On n'est pas indifférents à ce qui se passe.» On va continuer de les soutenir.»

«L'accès aux zones de confit est souvent bloqué»

«Il y a énormément de points de contrôle militaires, à la fois au Liban et en Syrie. Pour se rendre dans les zones de conflit, il faut négocier avec le gouvernement syrien. Il y a une tension énorme. Tout près du camp palestinien de Yarmouk, en banlieue de Damas, j'ai visité une femme qui vivait comme réfugiée avec ses cinq enfants, dans une pièce avec deux matelas. Cette dame me disait qu'elle ne voulait pas rester là, mais elle n'a pas d'argent pour louer un logement. Elle ne sait pas si sa maison existe encore, car l'armée syrienne bloque les entrées et sorties de Yarmouk. Elle ne sait pas où aller.»

Il y avait un système de santé en Syrie, mais tout cela s'est effondré, a-t-il pu constater.

«Je ne crois pas que c'était voulu et planifié, mais la conséquence, c'est que le Croissant-Rouge doit prendre une place importante. Aujourd'hui, le Croissant-Rouge soigne les civils, dont plusieurs arrivent avec des blessures causées par des éclats de mortiers. Ils traitent aussi les citoyens frappés par la pénurie de médicaments pour les maladies chroniques. J'ai vu des enfants avec des problèmes d'asthme qui n'avaient plus accès à leur aérosol doseur, car l'usine qui les fabriquait a été détruite. On voit des files énormes de femmes et d'enfants devant les cliniques.»

«Les jeunes secouristes ont un impact positif»

«C'est un aspect qui m'a beaucoup touché: ils sont des milliers de jeunes secouristes en Syrie à travailler pour le Croissant-Rouge. Ils ont en moyenne 21, 22 ans. Ils travaillent évidemment dans des conditions dangereuses: depuis trois ans, 34 d'entre eux ont été tués, et d'autres sont portés disparus. J'ai pu voir une ambulance qui avait été criblée de trous à cause de l'explosion d'une bombe.

«Dans un autre cas, il y a un mortier qui est tombé en plein milieu de l'ambulance. Par chance, il n'a pas explosé.

«Malgré tout, la direction n'a pas de difficulté à recruter des secouristes. Il y a beaucoup de jeunes Syriens qui veulent contribuer de façon positive. Ils gardent le moral et sont très engagés.»

Le conflit syrien en chiffres

> 150 000 : nombre de morts (civils et militaires confondus) depuis trois ans.

> 2,5 millions : nombre de Syriens qui ont quitté leur pays pour les pays voisins, dont 1 million se trouvent actuellement au Liban. C'est près d'une personne sur cinq au Liban.

> 30 ans : temps minimum qu'il faudrait à l'économie syrienne pour retrouver la productivité qu'elle avait en 2010 si la guerre prenait fin aujourd'hui, selon un nouveau rapport de l'ONU.

> 50 % : taux de chômage estimé en Syrie.

> 50 % : population vivant dans la pauvreté.