Les inspecteurs de l'ONU feront rapport à Ban Ki-moon au début de la semaine prochaine. Comment pourront-ils certifier qu'une attaque au gaz sarin a bel et bien eu lieu le 21 août en banlieue de Damas? Pourront-ils en imputer la responsabilité au gouvernement ou aux rebelles? La Presse a posé la question à deux spécialistes des armes chimiques, Jean-Pascal Zanders, un expert belge lié à l'Institut européen des études de sécurité à Paris, et Charles Blair, de la Fédération des scientifiques américains.

Les experts de l'ONU sont arrivés plusieurs jours après l'attaque. Y aura-t-il encore des traces du sarin, un gaz qui s'évapore aussi vite que l'eau?

On ne verra pas nécessairement de traces de sarin, mais de sous-produits de sa décomposition, répondent les deux experts. «Il y en aura dans le sol, les plantes, les vêtements, et probablement aussi les cadavres, dit M. Blair. S'ils trouvent du EMPA, un sous-produit très typique du sarin, il y aura une certitude.» M. Zanders précise que des preuves pourraient aussi être recueillies en analysant le sang des habitants des quartiers touchés. Lors de l'attaque au gaz sarin et moutarde contre la ville kurde irakienne de Hajabja, en 1988, des traces ont été détectables pendant plusieurs années dans le corps des survivants.

Les rebelles ont-ils les capacités d'une telle attaque?

«Avec plus de 1400 morts, il faudrait qu'ils aient parmi leurs rangs un officier formé spécifiquement pour les attaques d'artillerie avec des obus chimiques, qui aurait fait défection, dit M. Blair. Il faut frapper à des endroits relativement précis, en fonction des vents, de la pression atmosphérique, de l'humidité, et avec des intervalles serrés pour éviter que la population puisse s'enfuir des endroits touchés. Il s'agit d'un groupe de militaires très réduit. À la limite, le régime Assad doit savoir qui pourrait être en cause. Mais il est certain que les rebelles ont mis la main sur du gaz sarin et l'artillerie nécessaire.» Jean-Pascal Zanders note que l'attaque nocturne a probablement surpris les habitants dans leur sommeil, dans les sous-sols où ils se protégeaient des obus, là où le gaz sarin, plus lourd que l'air, a pu rapidement s'accumuler. «Dans ces conditions, il est envisageable de penser que les rebelles soient responsables, avec des tirs moins précis, dit M. Zanders. Il y a des chances que les inspecteurs puissent déterminer qui est responsable, en analysant les fragments d'obus et leur portée.» Cet été, l'ambassadeur russe à l'ONU a affirmé qu'une attaque à Alep en mars 2012 était l'oeuvre des rebelles parce que les obus étaient artisanaux - après que les Américains eurent attribué l'attaque au régime Assad.

Comment se compare l'attaque du 21 août à celle de Hajabja, au Kurdistan irakien, en 1988, qui avait fait 3000 morts?

Ça peut paraître horrible à dire, mais l'attaque récente a été beaucoup plus efficace, dit M. Blair. L'armée de l'air irakienne a bombardé Hajabja pendant plusieurs jours. C'était un genre de test pour Saddam Hussein, en plus d'une punition contre les Kurdes. Il faut dire qu'à l'époque, il n'y avait pas les communications d'aujourd'hui, qui rendent les attaques chimiques plus sophistiquées.