Après avoir accusé les étrangers d'orchestrer la récente fronde contre le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, le gouvernement turc a pris pour cible les ONG internationales qui viennent en aide aux réfugiés syriens installés sur son territoire.

La police turque a effectué la semaine dernière des perquisitions au siège de plusieurs organisations humanitaires travaillant en Syrie et expulsé quatre de leurs employés étrangers, selon des témoins, qui dénoncent la pression exercée par Ankara sur les ONG depuis la vague de manifestations qui a secoué le pays.

Un responsable turc a démenti tout lien entre ces opérations et la contestation politique qui a visé les dirigeants islamo-conservateurs au pouvoir depuis 2002.

Mais une source proche des ONG a confirmé que deux Britanniques, un Espagnol et un Allemand travaillant dans le secteur humanitaire avaient été arrêtés à Antakya, près de la frontière, interrogés par la police puis expulsés du territoire turc.

«Vous savez combien il est difficile pour les humanitaires de travailler en Syrie, nous subissons désormais de plus en plus de pression de la part des autorités turques», a ajouté cette source sous couvert de l'anonymat.

«Mercredi dernier, un salarié expatrié d'une ONG a été arrêté sur la route par un véhicule banalisé de la police», a-t-elle raconté à l'AFP, «son logement a été perquisitionné, il a été interrogé plusieurs heures avant d'être conduit devant une unité antiterroriste».

Dans un autre incident, une trentaine de policiers ont effectué jeudi 27 juin une descente au siège d'une autre ONG, pourtant en instance d'enregistrement auprès des autorités turques, a ajouté cette même source.

«Les accusations sont passées de tentative de fuite à infraction à la législation sur les stupéfiants et même incitation à l'émeute», a-t-elle dénoncé.

Précisément, ces opérations interviennent dans la foulée de la vague de contestation politique sans précédent qui a secoué la Turquie pendant trois semaines.

Parti d'une mobilisation contre la destruction d'un parc à Istanbul sévèrement réprimée par la police, le mouvement s'est mué en fronde contre le chef du gouvernement islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002, accusé de dérive autoritaire et de vouloir «islamiser» la société turque.

L'aide aux Syriens en péril

Plus de 2,5 millions de personnes sont descendues dans la rue pendant les trois premières semaines de juin, selon des estimations de la police. Ces manifestations ont fait quatre morts et quelques 8000 blessés, selon l'association des médecins turcs. L'une des victimes, un protestataire de 22 ans, a été tuée à Antakya.

Interrogé par l'AFP, un responsable turc a justifié l'intérêt récent porté par la police aux associations humanitaires qui opèrent près de la frontière syrienne par une circulaire du ministère de l'Intérieur qui interdit de travailler toutes celles qui ne sont pas dûment accréditées.

«Il y a beaucoup d'ONG et il est difficile de déterminer qui travaille pour qui. C'est un peu la pagaille», a-t-il estimé, «nous avons donc lancé une initiative pour les encourager à régulariser leur présence en Turquie».

Ce responsable a toutefois concédé que le processus était lent. «Seules 5 ou 6 ONG ont reçu leur permis de travail, beaucoup d'autres attendent toujours», a-t-il admis.

Mais certains membres de la communauté humanitaire récusent cette explication purement bureaucratique.

«Ces ONG ont clairement été accusées d'espionnage ou d'avoir incité des citoyens turcs à participer aux manifestations», a souligné un membre d'une association européenne qui opère à Antakya, récemment expulsé de Turquie après trois jours de garde à vue.

«Il semble que les autorités turques, aussi bien à Antakya qu'à Ankara, se soient donné le mot pour causer le maximum de désagrément aux organisations étrangères et à leurs équipes, y compris en les interrogeant toute la nuit et en tentant de leur arracher des déclarations sous serment sous la contrainte», a-t-il accusé.

«L'aide humanitaire au peuple syrien a été mis en danger», a regretté ce travailleur humanitaire.

Selon l'ONU, quelque 4,25 millions de Syriens ont été déplacés par la guerre qui fait rage depuis plus de deux ans dans leur pays, dont environ 1,4 million se sont réfugiés à l'étranger. À elle seule, la Turquie accueille plus de 400 000 Syriens sur son territoire.