Émissaire spécial des Nations unies et de la Ligue arabe en Syrie, Kofi Annan a décidé de jeter l'éponge hier. Après avoir tenté pendant six mois de mettre sur les rails un processus de paix dans le pays du Moyen-Orient qui est aujourd'hui plongé dans la guerre civile, le diplomate ghanéen a concédé hier que sans le soutien du Conseil de sécurité, rien ne peut être accompli en Syrie.

L'ex-secrétaire général des Nations unies n'a d'ailleurs pas mâché ses mots à l'égard de la plus puissante instance onusienne, divisée depuis le début sur la question syrienne. «Alors que les Syriens ont désespérément besoin d'actions concrètes, les insultes et les accusations fusent au Conseil de sécurité», a dit l'ancien no 1 de l'ONU, lors d'une conférence de presse improvisée en après-midi au cours de laquelle il a expliqué pourquoi il ne voulait pas renouveler son contrat le 31 août prochain.

Les signes de dissension au sein de la communauté internationale continuent d'être légion. La Chine et la Russie ont notamment bloqué trois projets de résolution qui auraient permis de mettre plus de pression sur le gouvernement Assad, ce qui a laissé Kofi Annan sans poigne politique.

Hier après-midi encore, l'Assemblée générale de l'ONU, qui planchait elle aussi sur une résolution sur la Syrie, a décidé d'édulcorer le texte afin de rallier plusieurs pays réticents, dont la Chine, la Russie, le Brésil et l'Afrique du Sud, qui refusent de demander le départ du président Bachar al-Assad et l'imposition de sanctions. La résolution, qui devrait faire l'objet d'un vote demain, se contente de dénoncer les attaques aériennes et l'utilisation d'artillerie lourde en zone urbaine.

«C'est impossible pour moi de convaincre le gouvernement syrien et l'opposition de s'avancer vers un processus politique» dans les circonstances, a ajouté M. Annan, en expliquant que l'intransigeance du gouvernement Assad et la militarisation croissante de l'opposition ont aussi contribué à rendre le succès de son plan de paix impossible.

Lettre morte

M. Annan a été nommé émissaire spécial des Nations unies et de la Ligue arabe en Syrie le 23 février dernier. Dans les mois qui ont suivi, il a conçu un plan de paix en six points, qui prévoyait la fin des combats armés, un processus politique de transition, la libre circulation de l'aide humanitaire et des journalistes, ainsi que la libération des prisonniers politiques.

Le plan, qui a reçu l'aval de la communauté internationale, tout autant du gouvernement syrien que des rebelles, a vite été mis à dure épreuve tandis que, dans les faits, les combats n'ont jamais cessé. Même après l'arrivée des observateurs des Nations unies en Syrie, avec pour seul mandat de veiller à l'application du plan Annan, la lutte armée n'a fait que s'envenimer. Plusieurs massacres de civils, dont celui de Houla, le 25 mai dernier, ont eu lieu presque sous le nez des observateurs.

Selon Paul Heinbecker, ancien ambassadeur du Canada aux Nations unies, Kofi Annan, qui a été critiqué lorsqu'il a accepté le mandat au début de l'année, a oeuvré avec l'intérêt des civils syriens en tête. «Il a décidé de prendre le mandat à cause des enjeux immenses et des vies en danger. Il a donné son 100%, même s'il savait qu'il n'avait que 20% de chances de réussite», a dit hier M. Heinbecker à La Presse.

L'ex-diplomate, aujourd'hui affilié au Centre pour l'innovation en gouvernance internationale, ajoute que la stratégie de Kofi Annan consistait à établir d'abord des bases de négociation consensuelles, pour ensuite se pencher sur la substance. «Mais les Russes, qui n'ont rien à faire de la boucherie en Syrie, ont décidé d'adopter la ligne dure et bloquent tout», déplore M. Heinbecker, qui craint que l'approche diplomatique soit de plus en plus compromise devant l'escalade de la violence.

Hier, les combats ont secoué autant Damas qu'Alep, les deux plus grandes villes du pays. Au moins 100 morts ont été rapportées, ce qui gonfle le bilan des pertes humaines qui atteint déjà 20 000 personnes depuis le début du soulèvement, le 15 mars 2011.

Un remplaçant

Malgré les difficultés que M. Annan a rencontrées dans l'exercice de ses fonctions, l'actuel secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, qui a dit «regretter profondément» sa démission, a affirmé hier qu'il lui cherchait déjà un remplaçant. «Le monde est plein de gens fous comme moi, alors ne soyez pas surpris si quelqu'un d'autre accepte un tel mandat», a répondu avec humour Kofi Annan.

- Avec l'AP, la BBC et le New York Times