Au moins 24 personnes ont été tuées samedi en Syrie où des affrontements opposaient l'armée aux rebelles à Alep (nord), nouveau front ouvert après le déclenchement de la «bataille de Damas» dans laquelle les forces régulières semblent avoir repris la main.

Sur le front diplomatique, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, inquiet de la «détérioration rapide» de la situation, a estimé que le gouvernement syrien avait échoué dans la protection des civils et lui a demandé de «cesser les tueries et l'utilisation d'armes lourdes contre les agglomérations».

Malgré l'intensification des combats, le ministère français des Affaires étrangères Laurent Fabius a indiqué que Paris souhaitait «la formation rapide d'un gouvernement provisoire» qui devra être «représentatif de la diversité de la société syrienne».

Il s'est dit prêt à organiser à Paris une réunion ministérielle «en vue de consolider les efforts des pays arabes dans la construction de la Syrie de demain».

Près d'une semaine de violents combats dans Damas et un attentat contre les principaux chefs de l'appareil sécuritaire au coeur de la capitale ont fragilisé le pouvoir du président Bachar al-Assad. Parallèlement, les rebelles ont pris le contrôle de plusieurs postes-frontières avec la Turquie et l'Irak.

Samedi, 24 personnes ont péri dans les violences, dont sept à Damas, majoritairement tuées par des tireurs embusqués, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). La veille, 233 personnes, en majorité des civils, avaient trouvé la mort d'après un bilan de cette organisation, selon qui le soulèvement déclenché en mars 2011 contre le régime a fait plus de 17 000 morts.

Exode à Alep

«De violents combats se déroulent» à la périphérie d'Alep, selon l'OSDH qui fait état de «dizaines de blessés». Les affrontements se poursuivent également entre les forces régulières et des unités rebelles dans le quartier de Salaheddine, au coeur de la capitale économique du pays.

Pour leur part, les Comités locaux de coordination (LCC, opposition) ont signalé «un exode des habitants du quartier, de peur des bombardements du régime et d'une offensive» contre Salaheddine.

Restée au départ comme Damas à l'écart de la révolte populaire, Alep s'est mobilisée au cours des derniers mois.

Ce nouveau front s'était ouvert vendredi après l'annonce mardi par les rebelles du début de la «bataille de libération» de Damas.

L'armée, notamment les forces spéciales et la Garde républicaine, a lancé une contre-offensive dans la capitale qui lui a permis de reconquérir vendredi le quartier Midane à la suite de violents combats.

La situation était très tendue samedi dans la capitale, où la circulation était extrêmement fluide en ce début de Ramadan.

Signe d'une nervosité croissante de la population, les habitants se sont rués sur les supermarchés ces derniers jours.

Pénurie de pain

«Je cours faire mes courses et je rentre tout de suite me terrer chez moi», affirme Souad, une mère de famille.

Un habitant du camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk, dans la banlieue sud de Damas, a affirmé à l'AFP n'être pas sorti depuis mercredi «en raison des tireurs embusqués postés à l'entrée et qui tirent sur tout rassemblement».

Selon l'OSDH, «des tirs nourris ont été entendus» samedi en milieu de journée dans le quartier huppé de Mazzé, dans l'ouest de la capitale.

«Des affrontements se déroulent dans les vergers à la limite du quartier et une grande partie des femmes et des enfants ont fui», a affirmé un militant, Abou Mohannad al-Mazzi, joint via Skype par l'AFP.

Selon lui, «les commerces sont fermés et il y a une pénurie de pain» dans le quartier.

Plusieurs quartiers de la périphérie de Damas, dont Hajar Asouad et Tadamoun, ont été bombardés selon des habitants.

Dans la ville rebelle de Homs (centre), plusieurs quartiers dont Khaldiyé ont été pilonnés par l'armée qui tente d'en prendre le contrôle, selon la même source.

Selon le chef de l'OSDH, Rami Abdel Rahmane, «les autorités ne contrôlent plus véritablement que 50 à 60% du territoire syrien».

Il a indiqué que des régions kurdes proches d'Alep, entourant la ville de Afrine, étaient «tombées sans résistance» aux mains des rebelles cette semaine.

L'Armée syrienne libre (ASL), formée de déserteurs et de civils armés, contrôlait samedi le principal des trois postes-frontières avec l'Irak, ont indiqué les autorités irakiennes, qui ont donné pour consignes aux gardes-frontières de refouler les réfugiés syriens.

En revanche, l'ASL a tenté en vain de conquérir un poste-frontière avec la Jordanie, selon un haut responsable jordanien.

Détroussés, les camionneurs turcs ont une dent contre les rebelles syriens

Des dizaines de camionneurs turcs maugréaient samedi contre les rebelles syriens qui ont investi le poste-frontière syrien avec la Turquie de Bab al-Hawa (nord-ouest), leur reprochant le pillage de leurs cargaisons.

Réunis du côté turc de la frontière, à Cilvegözü (province de Hatay, sud), les hommes attendent depuis vendredi de pouvoir récupérer leurs camions, abandonnés sur place quand l'Armée syrienne libre (ASL) s'est emparée de Bab al-Hawa au terme de combats avec les forces loyales au régime de Damas.

«Cela fait sept ans que j'exporte des tapis par ce poste-frontière, mais cette fois on a tout juste réussi à sauver notre peau», affirme Hasan Abbasoglu.

Le camionneur vient juste de récupérer son engin, sans dommages, mais délesté de sa cargaison.

Pour pouvoir retrouver son camion, Hasan dit avoir dû verser 700 dollars aux pillards. Il se plaint de l'attitude de l'ASL, qui n'a rien fait pour empêcher les vols.

Constituée principalement de déserteurs de l'armée régulière syrienne, l'ASL est la principale force armée des rebelles syriens. Plusieurs de ses dirigeants sont hébergés en Turquie, dans un camp proche de Cilvegözü.

D'autres désignent les rebelles comme les auteurs directs des larcins. Et vendredi, un correspondant de l'AFP a assisté à la distribution par les rebelles de la cargaison de plusieurs poids lourds turcs à la population locale, particulièrement affectée par des mois de combats meurtriers dans la zone.

«Tous nos camions ont été brûlés», déclare pour sa part Ali Cengiz, qui fait de l'import-export entre la Turquie et l'Arabie, via la Syrie. «Les combattants rebelles ont détruit nos camions durant les affrontements», ajoute-t-il.

Une trentaine de camions turcs ont été bloqués et pillés à Bab al-Hawa, a affirmé samedi à Cilvegözü le gouverneur de Hatay, Celelettin Lekesiz, lors d'une conférence de presse.

Parmi eux, neuf véhicules ont brûlé et 19 autres ont été restitués à leurs propriétaires, a-t-il ajouté.

Le gouverneur n'a pas souhaité mettre en cause les rebelles: «Nous avons reçu l'information que nos camions ont été brûlés et pillés par des groupes qui vivent de la contrebande», a-t-il souligné.

M. Lekesiz a également appelé les ressortissants turcs à éviter la Syrie.

«Je leur conseille de ne pas voyager en Syrie. Il n'y a pas de sécurité là-bas», a-t-il dit.

La Turquie entretenait de bonnes relations avec la Syrie jusqu'au début, en mars 2011, des soulèvements contre le régime du président Bachar al-Assad et leur violente répression par l'armée syrienne, sévèrement critiquée par Ankara.

Les violences en Syrie et ce refroidissement diplomatique ont porté un coup aux échanges économiques, cruciaux pour les habitants de la province turque de Hatay, sans les interrompre totalement, même si le ministère des Affaires étrangères a appelé les Turcs à ne plus se rendre en Syrie pour des raisons de sécurité.

Mais pour les camionneurs de Cilvegözü, danger ou pas, il faudra retourner en Syrie.

«Comment on va gagner notre vie, sinon?», demande Cengiz. «Nous avons des dettes, est-ce que le gouvernement va nous rembourser pour nos pertes?»