La sanglante contre-offensive lancée hier par l'armée syrienne pour reprendre le contrôle de Damas n'y changera rien: l'opposition se dit convaincue que «le régime al-Assad vit ses dernières heures. La seule question maintenant est de savoir combien de temps ces heures dureront».

En entrevue à La Presse, le directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), Rami Abdel Rahmane, voit dans les affrontements des derniers jours le début de la chute du président Bachar al-Assad. Les soldats loyaux à son régime ont peut-être repris certains quartiers de la capitale hier, l'ampleur des combats démontre l'effritement du pouvoir, durement ébranlé depuis l'attentat de mercredi dans lequel quatre hauts dirigeants du régime sont morts.

«Non, ce n'est pas la première fois qu'il y a des affrontements à Damas, mais ils duraient une heure au plus. C'est la première fois que cela dure depuis plus de trois jours maintenant», souligne Rami Abdel Rahmane. Établi à Londres, cet exilé syrien passe ses journées accroché à son cellulaire et devant son ordinateur à tenter de recenser les incidents secouant la Syrie afin d'alerter l'Occident du sort du peuple syrien. Le décompte des morts est difficile à établir, mais l'OSDH évalue maintenant que plus de 19 000 Syriens ont perdu la vie en 16 mois, dont au moins 128 seulement hier.

Plusieurs quartiers de la capitale ont été pilonnés par l'artillerie syrienne hier, tandis que des hélicoptères ont mitraillé des points défendus par les rebelles. Les soldats loyaux au régime, forces spéciales en tête, ont notamment investi le quartier de Midane, où de sanglants combats ont eu lieu durant la nuit.

Des journalistes occidentaux ont été autorisés durant la journée à visiter le quartier repris par les forces syriennes. Lors de cette visite organisée, ils ont pu constater les traces de lourds combats: trois corps dans une rue, des murs couverts de sang, des façades trouées de balles, des douilles couvrant la chaussée, un trou béant laissé par un obus dans le minaret d'une mosquée. Des rafales ont continué à déchirer le silence qui pesait hier sur le quartier, mais l'armée syrienne assure qu'il s'agissait uniquement de tireurs embusqués.

La télévision d'État a diffusé des images montrant des corps de personnes décrites comme des rebelles, des prisonniers et de nombreuses armes saisies durant la contre-offensive. Les opposants ont refusé de voir cela comme une défaite, parlant plutôt d'un simple repli devant la violence des bombardements.

L'OSDH rapporte que des affrontements seraient également survenus pour la première fois en 16 mois de rébellion dans la deuxième ville du pays, Alep, dans le nord.

Régime vulnérable

Cette sanglante contre-offensive était prévisible, selon Houchang Hassan-Yari, professeur au Collège militaire royal du Canada qui s'intéresse aux conflits au Moyen-Orient. Lui aussi partage l'avis des opposants syriens en voyant dans cette opération militaire l'un des derniers soubresauts du régime Assad. «On ne sait pas dans combien de temps mais, à mon avis, il est appelé à disparaître.»

Signe de vulnérabilité, les services secrets israéliens rapportent que l'armée syrienne a commencé à retirer ses forces du plateau du Golan pour les envoyer sur Damas. Ce geste est lourd de sens, observe M. Hassan-Yari, puisque la Syrie et Israël sont toujours officiellement en guerre depuis 1967, année depuis laquelle l'État juif occupe ce territoire. Un officier de haut rang israélien a de plus évalué que 13 000 soldats syriens auraient fait défection depuis le début du soulèvement, dont pas moins de 24 généraux.

Le veto imposé jeudi par la Russie et la Chine au Conseil de sécurité de l'ONU pour bloquer une résolution ne changera pas l'issue de ce que tous considèrent maintenant comme une guerre civile. «C'est seulement un répit temporaire», estime M. Hassan-Yari.

Il croit que le vote a surtout fait mal à la crédibilité de l'ONU, incapable à nouveau de s'entendre pour tenter de trouver une solution un conflit. Les États-Unis ont affirmé qu'ils continueraient à travailler à l'extérieur du cercle onusien pour aider le peuple syrien.

Houchang Hassan-Yari ne croit toutefois pas qu'une intervention étrangère est imminente, même si des discussions ont probablement lieu entre les membres de l'OTAN, qui est intervenue en Libye. «C'est à l'intérieur de la Syrie que ça va se régler. Dans les pays du tiers-monde, la capitale est tout. Quand la capitale tombe, alors le régime tombe», dit le professeur.

Le président russe Vladimir Poutine a d'ailleurs lancé un avertissement hier contre toute tentative d'ingérence externe. «Toute tentative d'agir en dehors du Conseil de sécurité de l'ONU sera inefficace et portera atteinte à l'autorité de cette organisation internationale», a prévenu son porte-parole, Dmitri Peskov.

Par ailleurs, les rumeurs selon lesquelles le président syrien s'apprêterait à fuir vers la Russie se sont intensifiées. L'ambassadeur de Russie à Paris a affirmé lors d'une entrevue que Bachar al-Assad «accepte de partir, mais d'une façon civilisée», avant de se rétracter et d'être rabroué par sa diplomatie. Il reste que certains affirment que la femme du président se trouverait déjà à Moscou. Un porte-parole de la diplomatie russe a rétorqué hier qu'il s'agissait de simples «rumeurs».

Plus de 250 000 réfugiés syriens

«La situation en Syrie est vraiment exécrable. On se bat, c'est la guerre, partout c'est la guerre. Nous sommes partis parce que nous avions peur de mourir.» Instituteur irakien de 60 ans, Khaled al-Jaouadi a quitté la Syrie pour Bagdad, hier, devant les violences secouant le pays depuis 16 mois.

Ils seraient désormais plus d'un quart de million de personnes à avoir trouvé refuge dans les pays voisins.

«Avec la propagation de la violence mortelle, je suis très gravement préoccupé par les milliers de civils syriens et de réfugiés qui ont été forcés de fuir leur foyer», s'est inquiété le haut-commissaire de l'ONU responsable des réfugiés, Antonio Guterres.

Des cinq pays voisins de la Syrie, seul Israël garde sa frontière fermée, les deux pays étant techniquement en guerre depuis 1967. La Jordanie, qui a accepté d'accueillir les réfugiés, affirme en abriter à elle seule 140 000. Devant l'afflux, des travaux ont récemment été entrepris dans le nord du pays pour faire passer la capacité d'un camp de réfugiés de 3000 à 113 000 personnes.

Au Liban, ils seraient désormais près de 60 000 Syriens, dont la moitié arrivée au cours des 48 dernières heures. La Turquie en hébergerait pour sa part 43 000.

Même l'Irak a commencé à voir les réfugiés se presser à ses portes, ses ressortissants disant être ciblés en Syrie. Après avoir fui au cours des dernières années les violences dans leur pays, environ 9000 Irakiens auraient ainsi décidé de rentrer devant la détérioration de la situation.

Le retour en Irak de ces réfugiés risque de s'accentuer encore, alors que le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) rapporte que sept membres d'une famille irakienne ont récemment été abattus «à bout touchant» dans leur appartement de Damas. Trois autres ont également été assassinés dans un autre incident.

«Nous avons décidé de rentrer en Irak parce que nous craignions pour nos vies, surtout après l'augmentation des meurtres et attaques contre les Irakiens en Syrie», a confié l'un d'eux à l'Associated Press, Falid Radhi, 48 ans. Sombre ironie, sa famille a quitté Bassora en 2007 justement pour fuir les violences qui sévissaient dans cette ville du sud-est de l'Irak.

D'autres ont dit avoir été forcés à quitter la Syrie. «Des barbus armés ont fait irruption chez nous très tôt avant-hier. Ils nous ont ordonné de quitter la Syrie. J'ai mis ce que j'ai pu dans des petites valises et, avec mon mari et ma fille de 13 ans, nous avons pris le premier autocar pour Bagdad», a dit Oum Zainab à l'Agence France-Presse.

Le transporteur national irakien Iraqui Airways affirme avoir effectué d'urgence huit vols pour rapatrier 1000 ressortissants qui vivaient à Damas. Le HCR affirme pour sa part qu'au moins 8000 Irakiens, principalement des Kurdes, auraient fui par voie terrestre.

La situation des quelque 250 000 réfugiés serait particulièrement difficile, selon le HCR. «Dans ces quatre pays, beaucoup de réfugiés syriens nouvellement arrivés dépendent entièrement de l'aide humanitaire. Certains d'entre eux arrivent avec pour seules possessions les vêtements qu'ils portent sur eux et après plusieurs mois de chômage», a rapporté récemment un porte-parole de l'organisation onusienne, Adrian Edwards.

Avec l'AFP et AP

Principales terres d'accueil des réfugiés

Jordanie 140 000

Liban 58 000

Turquie 43 000

Irak 9000