Avec la poursuite des combats en Syrie, les réfugiés continuent de fuir vers le Liban. Mais une fois la frontière traversée, ils ne sont pas au bout de leurs peines. L'État libanais refuse de mettre sur pied des camps pour les héberger. Le seul recours: l'hospitalité légendaire des Libanais, même sans le sou.

Il y a cinq mois, quand Zahra apprend que des dizaines de réfugiés affluent dans le nord du Liban, elle se rend au poste-frontière d'Abboudiyé pour donner un coup de main à ses «frères» syriens. Elle rencontre Sarah, jeune femme de 23 ans, son mari et leur petite fille Jinan, 14 mois.

Ils ont fui Tall Kallakh, ville syrienne proche de la frontière, bombardée par le régime de Bachar al-Assad. «Ils semblaient complètement perdus, quand on a vu le bébé qui pleurait, on les a emmenés chez nous», raconte la mère de huit enfants.

La famille met à la disposition des réfugiés une pièce de 20 m, à l'étage inférieur de sa maison, dans le village de Kweykhat. L'ancien débarras fait désormais office de cuisine, de salon et de chambre à coucher. Les réfugiés n'ont presque rien emporté avec eux, et pendant trois mois, Zahra et les siens leur ont payé la nourriture, l'eau, l'électricité. Environ 200$ par mois, soit presque le tiers du revenu familial.

«Cela a représenté des sacrifices, mais nous considérons cette famille comme nos invités, ils resteront là tant qu'ils ne seront pas en sécurité en Syrie», affirme sans ciller Zahra, dans sa djellaba noire.

Si les réfugiés sont hébergés chez l'habitant, c'est qu'il n'existe pas de camp de tentes comme en Turquie ou en Jordanie. Le gouvernement libanais - dominé par le Hezbollah et ses alliés - apporte une aide humanitaire aux exilés (nourriture, vêtements...), mais refuse toujours de créer des camps: il n'est pas question de froisser le régime baathiste, qui ne veut pas donner l'impression que des Syriens fuient le pays. L'installation de nouveaux réfugiés, après les Palestiniens il y a 60 ans, et plus récemment les Irakiens, reste aussi un sujet très sensible au Liban.

Intenable hospitalité

Pour les familles qui accueillent les Syriens depuis parfois plus d'un an, la situation devient de plus en plus intenable, avec la détérioration des conditions économiques. «La contrebande de marchandises, principale source de revenus dans les zones frontalières, s'est pratiquement arrêtée, et les Libanais ne peuvent plus par exemple bénéficier de services médicaux à moindre coût dans la région de Homs, comme autrefois», explique Abdallah Muhieddine, qui coordonne différents projets pour le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) au nord du Liban.

Les organisations humanitaires ont vite compris l'importance de soutenir les familles hôtes. Depuis octobre 2011, le Norwegian Refugee Council (NRC) a lancé un vaste programme de réhabilitation des maisons libanaises hébergeant des réfugiés. Plus de 200 habitations ont été équipées jusqu'ici, avec en moyenne 2000$ de travaux par maison. La famille de Zahra fait partie des bénéficiaires du programme. Elle a reçu un premier versement de 390$ pour installer un évier dans la pièce où vit la famille syrienne, une douche et un réservoir d'eau dans un petit bâtiment dans la cour, près du potager. «Avec le prochain versement, nous allons pouvoir aménager une seconde pièce, cela permettra de séparer la cuisine de la chambre», précise Zahra. Les familles libanaises ont un mois pour procéder aux installations et doivent s'engager à accueillir les réfugiés chez eux gratuitement pendant un an. «L'avantage de ces aménagements, c'est qu'ils resteront pour les familles libanaises une fois que les Syriens rentreront chez eux», soutient Ahmad Azzam, responsable de terrain du NRC au nord du Liban.

L'arrivée constante de nouveaux réfugiés (en moyenne 300 personnes chaque semaine dans le Nord) risque cependant de poser rapidement un sérieux problème d'hébergement, surtout si les combats continuent de s'intensifier autour de Damas. Avec 30 000 réfugiés recensés par le Commissariat des Nations unies pour les réfugiés - mais près du double selon certaines sources -, les familles libanaises ont pratiquement atteint le maximum de leurs capacités d'accueil.