La plupart sont blessés par balle, l'un a été écrasé contre un mur par une jeep: dans un hôpital de la ville turque d'Antakya, de jeunes Syriens racontent la férocité de la répression en Syrie.

Dans leur malheur, ils ont eu de la chance. Des amis ou des parents ont réussi, en voiture puis en les portant sur leurs dos ou sur des brancards pendant des heures sur des chemins de montagne, à les faire passer en Turquie.

Au premier étage de l'hôpital, Astanese Khalil Kedar, 30 ans, barbe noire et sweatshirt, boit à la paille un petit jus de fruit.

«Nous étions presque arrivés en Turquie», dit-il. «Près de la frontière, les soldats nous ont vus et ont tiré sur notre petit groupe. J'ai été touché».

Un grand plâtre emprisonne sa jambe droite. La balle a transpercé le gras de la cuisse, il s'en sort bien. «J'avais été appelé à rejoindre l'armée, mais je savais que je devrais alors tirer sur les gens et je ne voulais pas, alors nous sommes partis. Les soldats ont des ordres, ils visent tous ceux qui tentent de fuir le pays», raconte Astanese.

Hassan Chaib, 23 ans, poitrine creuse et grands yeux dorés, avait reçu le même ordre de mobilisation et, pour la même raison, avait tenté de prendre le chemin de l'exil. «Dans la rue d'un village proche d'Idleb, il y a deux jours. L'armée tire à vue sur quiconque, surtout les hommes».

Il a été atteint à la jambe gauche, qu'on lui a plâtrée. Il sourit. «Mes amis m'ont porté pendant cinq heures dans la montagne. Et d'ici, j'ai pu prévenir les miens, à Kframbi, pour leur dire que j'étais vivant».

Dans les couloirs, où des policiers turcs montent une garde bienveillante, des activistes syriens passent de chambre en chambre. Ils embrassent leurs compatriotes alités sur le front, leur prennent les mains, distribuent des cartes de téléphone portable turques et des encouragements.

Ahmad al Rahal, 28 ans, est arrivé il y a douze jours. Bandé, plâtré, les os brisés en treize endroits, ce jeune imam à la barbe rousse peut à peine bouger. «Nous manifestions contre Bachar (président syrien) à Kfar Nabl (au sud d'Idleb) quand une jeep de l'armée a foncé sur nous. Elle m'a écrasé contre un mur, je ne pouvais plus bouger. Puis le soldat en est sorti. Il a levé son arme pour me tuer, mais la foule l'en a empêché».

L'accès à la frontière turque, aujourd'hui presque impossible, était alors plus facile. C'est en voiture, par des pistes et des routes secondaires non gardées, qu'Ahmad a été évacué, puis pris en charge par le Croissant rouge turc qui l'a transporté jusqu'à Antakya.

C'est aussi pendant une manifestation, il y a trois jours à Kfar Rouma (province d'Idleb), que Khaled Asram, un mécanicien auto de 24 ans au visage mangé de taches de rousseur, a été touché. Ses maigres jambes inertes, insensibles, qu'il ne peut plus bouger, sont confinées dans des bas de contention blancs.

«Les soldats tiraient depuis des fenêtres, les gens tombaient autour de moi. Une balle m'a atteint dans le dos quand je courais», dit-il. «Je ne peux plus marcher. Deux amis se sont relayés pour me porter sur leur dos».

Dans la chambre voisine, Mustapha Jaber, un vendeur de téléphones mobiles de 37 ans, raconte également les tirs sur une foule rassemblée pour lancer des slogans.

«Il y a une semaine à Al Qala, près de Hama, les soldats ont tiré sur nous depuis les toits, au fusil et à la kalachnikov. Personne n'avait d'arme», dit ce grand costaud à la courte barbe.

Lui aussi a été touché aux jambes: l'une est plâtrée, l'autre bandée. Les blessés plus graves, intransportables ou qui perdent trop de sang, meurent sur place. «Mes amis ont fabriqué un brancard et m'ont porté sur un chemin de montagne jusqu'à la Turquie».

Il se remonte dans le lit, s'appuie sur ses coudes, lève le menton et crie: «Bachar, fils d'Hafez, tu es maudit! Toi qui fais tirer sur tout le monde, hommes, femmes et enfants!».