Les roquettes de l'armée syrienne ont détruit les deux derniers supermarchés de Baba Amr, dimanche. Le dernier entrepôt de nourriture a aussi été bombardé.

Il ne reste plus qu'une voie clandestine d'approvisionnement vers ce quartier de la ville de Homs, assiégée depuis trois semaines. Et cette voie tourne au ralenti. Résultat: les denrées de première nécessité, comme le pain et le lait maternisé, commencent à manquer.

Le dernier hôpital improvisé dans Baba Amr manque de tout, lui aussi: bandages, produits anesthésiques, antibiotiques, et même le fil chirurgical destiné à recoudre les plaies. En absence d'électricité, impossible de sauvegarder les poches de sang pour les blessés. Les machines à dialyse ne fonctionnent plus depuis une semaine, mettant en danger ceux qui en ont besoin pour survivre.

Le pire à venir

Mais le pire reste encore à venir, craignent les habitants de ce quartier où se joue, depuis trois semaines, la bataille la plus féroce entre l'armée syrienne et les rebelles et opposants du régime de Bachar al-Assad.

Hier après-midi, j'ai réussi à joindre trois d'entre eux. L'un est infirmier, l'autre membre des comités de coordination du soulèvement syrien, et le troisième combattant au sein de l'Armée syrienne libre, formée par les soldats qui ont quitté l'armée de Bachar al-Assad. Un tour de passe-passe technologique leur permet occasionnellement de profiter des réseaux cellulaires libanais, dans cette région frontalière avec le pays du Cèdre. La majorité de la population de Homs n'a accès ni au téléphone, ni à l'internet.

Les trois hommes ont dressé un portrait terrifiant d'une ville qui essuie un pilonnage incessant, dont les habitants ne mangent plus que du riz et leurs dernières conserves, et doivent enterrer leurs morts dans leurs jardins.

«Il y a aujourd'hui plus de morts que de blessés», dit Omar, l'infirmier qui travaille au dernier hôpital improvisé de Baba Amr à avoir résisté à la destruction. À défaut de soins adéquats, «les plaies des blessés sont en train de s'infecter».

Omar habite le quartier voisin de Khaldiyeh, où la vie n'est pas rose non plus. Mais la dernière fois qu'il s'est rendu à Baba Amr, il y a deux jours, il a été incapable d'y rester plus d'une heure. «Ils bombardaient comme des fous!»

Une île de sang

«Baba Amr est devenu une île», dit Abdul, «coordonnateur» des manifestations antirégime. Une île de sang qui n'est plus reliée au reste du pays que par une ultime voie clandestine. L'aide alimentaire et médicale y passe au compte-gouttes. D'autant plus que l'armée syrienne accroît sa présence dans les quartiers et villages environnants.

«La moitié du quartier est détruite», dit Mohammad, soldat de l'Armée syrienne libre. Selon lui, un nouveau quartier, celui de Qsair, est dorénavant visé par les roquettes.

Quand je lui ai parlé, l'évacuation des deux journalistes blessés la semaine dernière, Édith Bouvier et Paul Conroy, n'était toujours pas décidée. En revanche, les corps des deux journalistes tués dans le même bombardement, Marie Colvin et Rémi Ochlik, devaient être enfouis dans des tombes temporaires, en attendant de pouvoir être évacués.

Les journalistes peuvent-ils encore rejoindre ce quartier éprouvé? «C'est possible, mais maintenant, ils ont peur d'être ciblés», dit Abdul, avant de laisser tomber un aveu d'impuissance. «Nous, à Baba Amr, nous nous blâmons de ne pas les avoir mieux protégés...»

Le coup de grâce?

Mes interlocuteurs ont tous trois le sentiment que l'armée syrienne s'apprête à donner le coup de grâce aux rebelles de Homs. Mohammad a entendu parler d'un mouvement de troupes autour de la ville. Omar, lui, a évoqué les drones qui auraient survolé la ville à trois reprises, hier.

Ce qui réveille le spectre d'une éventuelle attaque aux armes chimiques. Il y a, à Baba Amr, beaucoup de frayeur et de rumeurs impossibles à vérifier.

Tout en soumettant Homs à un feu roulant de roquettes, le régime syrien a exigé que les habitants de la ville aillent voter au référendum constitutionnel de dimanche. «Presque personne ne l'a fait, sauf les prisonniers qui y ont été forcés», dit Abdul.

L'armée syrienne a poursuivi son offensive sur d'autres fronts, hier, notamment dans le nord du pays, dans la région d'Idlib, près de la frontière de la Turquie. Au total, 144 personnes ont été tuées hier, dont 9 à Baba Amr. Un lundi tout aussi sanglant que le week-end, qui a fait 150 morts.