Dissident de longue date, le syrien, George Sabra a passé huit ans de sa vie derrière les barreaux. Chrétien, ex-communiste, il a été incarcéré pour la dernière fois l'été dernier. Libéré en septembre, l'homme de 65 ans a fui vers la France. Sa mission: réorganiser l'opposition syrienne à l'étranger. Certains lui prêtent même l'intention de prendre les rênes du Conseil national syrien, qui regroupe les dissidents syriens, particulièrement ceux de la diaspora, et qui tient une importante réunion la semaine prochaine. La Presse l'a joint mardi, à Paris.

Q Vous avez été incarcéré pendant deux mois, l'été dernier. Quelles étaient les conditions de vie en prison?

R Très mauvaises. Les prisonniers étaient entassés à 300 dans une seule pièce. Il n'y avait pas assez de place pour s'asseoir. Dans ce contexte, le simple fait d'aller aux toilettes devient un rêve. Moi, je n'ai pas été torturé. Mais les jeunes étaient battus sur les jambes, suspendus par les mains ou alors placés sur ce qu'on appelle, ici, la «chaise allemande», qui plie le corps vers l'arrière et peut causer de graves blessures. Je les ai entendus crier pendant des heures, chaque jour, pendant 60 jours.

Q Comment avez-vous réussi à quitter la Syrie?

R Je n'ai pas d'autorisation de sortie depuis 1979. J'ai traversé clandestinement la frontière à pied, c'était très dangereux. Une fois en Jordanie, l'ambassade de France m'a fourni des papiers.

Q Qu'êtes-vous venu faire à Paris?

R Je suis venu me joindre à l'équipe du Conseil national syrien. Nous croyons qu'il faut adopter de nouvelles façons d'agir, qu'il doit changer ses dirigeants. Jusqu'à maintenant, les Syriens de l'intérieur ont soutenu le Conseil, mais qu'est-ce que le Conseil a fait pour nous? Je suis désolé de répondre: rien. Il faut aider la population syrienne, lui acheminer de la nourriture, des médicaments. Vous imaginez? Ça fait presque un an que les gens ne travaillent plus en Syrie. Tous les jours il y a des morts, des blessés. Nous avons besoin d'aide.

Q Comment fonctionne l'Armée syrienne libre?

R Au fil des mois, de plus en plus de soldats ont quitté l'armée du régime en emportant leurs armes. Les dirigeants de l'Armée syrienne libre affirment qu'ils regroupent 40 000 hommes. Cette armée est mieux organisée que ne l'étaient les rebelles libyens. Elle occupe des positions partout au pays, autour des grandes villes, y compris tout près de la capitale. Mais ses soldats n'ont que leurs armes personnelles pour se défendre contre les chars.

Q Quelles sont les relations entre l'Armée syrienne libre et le Conseil national?

R Ce n'est pas facile de s'entendre avec les militaires. Mais nous devons y parvenir. C'est l'Armée libre syrienne qui a surtout appelé à une intervention militaire internationale. Ils veulent être protégés, c'est la chose la plus importante pour eux.

Q Et vous, qu'en pensez-vous?

R Comment voulez-vous une intervention militaire internationale quand nous n'arrivons même pas à obtenir un appui politique? Cette question n'est même pas sur la table.

Q Que savez-vous de la situation actuelle à Homs?

R Elle est terrible. Après ce que nous appelons le «veto meurtrier» de la Russie et de la Chine, le régime croit qu'il est libre de tuer. À Homs, ils bombardent la ville à l'artillerie lourde, ils tirent même sur les hôpitaux. La population a besoin de médicaments, de sang, de nourriture, c'est une catastrophe.

Q Que peut faire la communauté internationale, maintenant?

R Nous demandons à la Croix-Rouge internationale, à l'ONU, au Conseil des droits de l'homme, à la Ligue arabe de faire quelque chose pour aider les civils syriens. Depuis qu'ils ont vu que le Conseil de sécurité ne les soutenait pas politiquement, les gens dans les rues sont en colère, ils se sentent abandonnés.

Q Il y a encore des gens qui soutiennent le régime en Syrie?

R Après 11 mois, la majorité soutient la révolution. Mais oui, certains Syriens appuient toujours le régime.

Q Les minorités n'ont-elles pas peur de ce qui va leur arriver quand Bachar al-Assad va partir?

R Elles ont tort. Les leaders chrétiens ont mis beaucoup de temps avant d'adopter une position politique adéquate. Aujourd'hui, ils disent qu'ils ne sont fidèles à aucun régime, qu'ils vont soutenir les autorités désignées par le peuple. Mais ils ont mis du temps. Cela dit, il y a des chrétiens dans les manifestations, ils partagent toutes les activités de la révolution.

Q Quelle est la stratégie de Bachar al-Assad, selon vous?

R Il veut gagner du temps. Maintenant que l'initiative de la Ligue arabe et du Conseil de sécurité est stoppée, le régime croit qu'il peut régler le problème en tuant des gens. Mais les Syriens à l'intérieur et à l'extérieur ne pensent pas que ça va se produire. Ce n'est qu'une question de temps.

La guerre médicale

Un médecin syrien est arrêté en flagrant délit de possession de gaze à pansement. Sentence: un mois de détention, avec torture.

Un homme est blessé à la main lors d'un raid militaire. Les médecins qui le soignent clandestinement constatent qu'il a besoin d'une chirurgie, impossible à pratiquer dans leur clinique improvisée. Admis dans un hôpital de Damas, sous un faux nom, l'homme est amputé jusqu'au poignet. Il est convaincu que sa blessure n'exigeait pas une intervention aussi radicale.

Ces deux témoignages sont tirés d'un rapport publié hier par l'organisation Médecins sans frontière, selon laquelle le régime de Bachar al-Assad persécute sans merci autant les blessés que ceux qui tentent de les soigner. On y apprend que les forces de sécurité ont l'habitude d'encercler les hôpitaux pour y intercepter les nouveaux blessés. Que des médecins peuvent être envoyés en prison simplement parce qu'ils transportent des médicaments. Que devant un blessé grave, les médecins clandestins ont un choix insoluble: le laisser mourir ou l'envoyer à l'hôpital où il risque d'être achevé par le régime...

MSF ne peut pas entrer en Syrie, mais fournit de l'aide à des réseaux clandestins de médecins dans ce pays à feu et à sang. La persécution systématique des médecins et des blessés présente un cas de figure «assez inédit» dans l'histoire de cette ONG médicale, selon un de ses porte-parole, Samuel Hanryon. C'est ce qui l'a incitée à lancer son cri d'alarme.

Photo: Husein Malla, AP

Les médecins des cliniques clandestines soignant les rebelles syriens sont parfois confrontés au dilemme de soit laisser mourir un blessé grave ou de l'envoyer dans les hôpitaux, où il risque d'être achevé par le régime.