Les circonstances de la mort du journaliste français Gilles Jacquier tué mercredi en Syrie suscitent en France des soupçons de manipulations et son employeur, qui s'interroge sur des éléments «troublants», a porté l'affaire devant la justice.

Le parquet de Paris a ouvert vendredi une enquête pour homicide volontaire et l'autopsie du corps du grand reporter sera effectuée dans la journée à Paris, a-t-on appris de source judiciaire.

Son employeur, le groupe public France Télévisions, a indiqué avoir saisi le procureur de la République de Paris afin de faire «toute la lumière» sur la mort du journaliste âgé de 43 ans.

«Nos confrères étaient sur place avec toutes les autorisations, des visas officiels et normalement une protection qui, brusquement, s'est retirée au moment des frappes. Il y a donc là des questions que nous nous posons», a expliqué le président de France Télévisions Rémy Pflimlin.

Reporter aguerri, Gilles Jacquier a été tué par un tir -pour le moment de nature indéterminée- lors d'un voyage autorisé et encadré par le régime du président Bachar al-Assad à Homs, ville épicentre de la contestation. Il se trouvait dans un quartier alaouite (branche dissidente du chiisme), la confession du chef de l'État, lorsque les tirs ont eu lieu.

De retour de Syrie où il est allé chercher le corps rapatrié dans la nuit de jeudi à vendredi, le directeur de l'information de France Télévisions Thierry Thuillier a expliqué à l'AFP qu'il y avait «des choses troublantes» dans les circonstances de sa mort.

«Par exemple, pourquoi, alors que ce convoi de journalistes est escorté militairement, pourquoi d'un seul coup les militaires disparaissent de la circulation au moment des premiers tirs?», s'est interrogé M. Thuillier.

Il s'est également interrogé sur la présence de «la télé syrienne sur place déjà avant même qu'ils arrivent». «On n'a pas de réponses. Je ne veux pas préjuger. Mais on a besoin de ces réponses. Et on a besoin de cette enquête», a dit Thierry Thuillier.

La télévision officielle syrienne a accusé «un groupe terroriste» d'avoir «tiré des obus sur des journalistes étrangers» alors que le régime est confronté depuis le 15 mars à une contestation populaire qu'il réprime dans le sang.

Mais la nature des tirs et leur provenance ne sont pas claires. Sans pouvoir dire s'ils provenaient de l'armée ou des rebelles, les témoins ont évoqué des tirs soit d'obus, soit de roquettes, soit même de grenades. L'Armée syrienne libre des rebelles (ASL) est connue pour utiliser des lance-roquettes, moins des mortiers, contrairement à l'armée du régime.

Citant une source proche du président français Nicolas Sarkozy, le quotidien Le Figaro affirme que Paris soupçonne «une manipulation» des autorités syriennes qui les impliquerait dans la mort du journaliste.

«Les responsables syriens étaient seuls à savoir qu'un groupe de journalistes occidentaux visitait Homs ce jour-là et dans quel quartier il se trouvait», explique cette source. «On peut croire à un malheureux accident. Mais il tombe plutôt bien pour un régime qui cherche à décourager les journalistes étrangers et à diaboliser la rébellion.»

Ce drame est survenu alors qu'une mission d'observateurs de la Ligue arabe est en Syrie où elle est critiquée par l'opposition pour son inefficacité. Plusieurs observateurs ont subi une attaque lundi alors qu'ils faisaient route vers Lattaquié, sur la côte méditerranéenne.

Les autorités syriennes ont annoncé jeudi la création d'une commission d'enquête sur la mort du journaliste. L'agence officielle Sana a indiqué qu'elle serait formée d'un juge, du chef de la sécurité criminelle de la ville de Homs, de deux experts en balistique et d'un représentant de France 2.

Mais la direction de France Télévisions a démenti vendredi qu'un représentant de France 2 en fasse partie.

«Nous exigeons que toutes les garanties d'une enquête indépendante, fiable, crédible et transparente soient apportées pour que toute la lumière soit faite», a insisté vendredi le porte-parole adjoint du ministère français des Affaires étrangères Romain Nadal.