Après trois semaines de crise, la moitié de l'Égypte a voté samedi sur un nouveau projet de Constitution. Les résultats préliminaires, compilés hier, donnent une légère avance au camp du «oui» du président et de ses alliés islamistes, mais semblent loin d'éteindre le brasier politique, ont constaté nos deux envoyés spéciaux.

Les yeux rougis par le manque de sommeil, Mansour Mohammed s'est présenté au travail hier matin en combinaison de jogging. Après des semaines à faire campagne dans son quartier du Caire en faveur de la nouvelle Constitution égyptienne, il venait de passer la nuit à attendre les résultats.

Il s'est levé avec un sourire.

Selon les résultats préliminaires du premier jour de référendum compilés par les Frères musulmans et leur parti politique, le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), près de 56,5 % des Égyptiens qui ont enregistré leur vote samedi étaient en faveur de la nouvelle Constitution.

«Je suis heureux. Nous nous attendions à ce résultat. Nous avons passé des semaines à éduquer les gens sur la nouvelle Constitution», s'exclame Mansour Mohammed.

Devenu membre des Frères musulmans à une époque où la puissante confrérie était illégale en Égypte, ce qui lui a valu trois séjours en prison pendant l'ère Moubarak, M. Mohammed est aujourd'hui un des représentants du PLJ dans le quartier de Choubra, au coeur du Caire. Hier, il n'aurait pu être plus fier d'appartenir au parti du président Mohamed Morsi, au pouvoir depuis juin.

Bilans contradictoires

Tous ne partageaient cependant pas sa joie. Hier, quelques heures après que les Frères musulmans eurent annoncé leur décompte, une coalition de partis de l'opposition a affirmé que selon sa propre recension, effectuée dans les bureaux de scrutin, le référendum de samedi a été remporté par le clan du «non» à 66 %.

Mais à ce sujet, les opposants à la Constitution n'étaient pas unanimes. Le Parti du courant populaire a admis être arrivé au même bilan que les Frères musulmans.

Ces divers décomptes ne sont que provisoires. Le résultat officiel du vote ne sera connu que dans une semaine. Samedi, près de 26 millions d'Égyptiens vivant dans 10 gouvernorats du pays sont passé aux urnes; près de 25 millions d'autres voteront sur le même sujet le 22 décembre.

À moins d'une immense surprise, le deuxième vote devrait avantager les Frères musulmans, selon les experts. Les régions restantes ont été fortement favorables aux islamistes lors des premières élections ayant suivi le départ d'Hosni Moubarak le 11 février 2011.

«Nous allons continuer notre travail de porte-à-porte, dans la rue, comme nous savons le faire depuis longtemps», dit en souriant Mohammed Mansour. Il est convaincu que la nouvelle Constitution «aidera le pays à aller de l'avant».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Des dizaines de femmes ont fait la file durant plusieurs heures, hier, avant de pouvoir voter dans une école du quartier de Shoubra au Caire.

Irrégularités nombreuses

Le mouvement d'opposition qui s'est fait fortement entendre au cours de trois semaines de confrontation, qui ont fait 11 morts et plus de 800 blessés, est d'un tout autre avis. Partis socialistes, libéraux et autres associations laïques de toutes allégeances croient plutôt que la nouvelle Constitution, si elle reçoit l'aval d'une majorité d'Égyptiens la semaine prochaine, contribuera à l'islamisation du pays et remettra en cause les droits des femmes et des minorités.

Si les partis d'opposition ne s'entendaient pas sur les résultats référendaires d'hier, ils se rejoignaient néanmoins sur un point: à leurs yeux, le vote de samedi était une farce truffée de violations électorales.

En tout, le Front du Salut national, qui regroupe certains des principaux partis progressistes, a relevé par moins de 750 irrégularités, dont 374 dans la seule ville du Caire. Bulletins de vote non conformes, absence d'observateurs, délais d'attente indus dans certains bureaux de scrutin jugés défavorables à la Constitution, disparition de listes électorales et de boîtes de scrutin: la liste des violations, relevées par l'opposition, est longue.

Samedi, lors d'une tournée de bureaux de scrutin au Caire, les représentants de La Presse ont pu constater par eux-mêmes que certains partis politiques intimidaient les électeurs.

Poursuivre la bataille

«Le vote n'était qu'une grosse mascarade dont nous ne reconnaîtrons jamais la légitimité», tonnait à ce sujet Samir Mohammed, 26 ans. Campés devant le palais présidentiel depuis 21 jours, les plus fervents opposants à la Constitution et au président Morsi promettaient hier de continuer leur bataille pour faire invalider le référendum. «Nous serons ici jusqu'au bout, assurait à son tour Mohammed Farouk, 28 ans. Si jamais, après le second vote, le oui est vainqueur, ce sera un grand choc. La société civile se mobilisera contre les Frères musulmans et leurs plans. Vous pouvez vous attendre à des manifestations géantes».

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Bulletins de vote non conformes, absence d'observateurs, délais d'attente indus dans certains bureaux de scrutin jugées défavorables à la Constitution, disparition de listes électorales et d'urnes: la liste des violations relevées par l'opposition est longue.