Après trois semaines d'un bras de fer politique qui a versé dans la violence, les Égyptiens sont finalement passés au vote ce samedi lors de la première moitié d'un référendum et dont le déroulement est déjà vertement critiqué. Nos journalistes étaient sur place.

Dans la ruelle qui jouxte l'école Ansaf Séri, au coeur d'un quartier populaire du Caire, une longue file d'Égyptiennes attend patiemment pour voter. Diront-elles oui ou non à une nouvelle constitution lors de ce référendum? Deux hommes qui se tiennent de l'autre côté de la rue aimeraient bien influencer leur choix.

Le premier, Tarek Abdel Fatah, du parti socialiste Al-Karama, crie à qui veut bien l'entendre qu'il a appelé la police en matinée pour faire décrocher une bannière en faveur du « oui », pendant tout juste devant le bureau de vote réservé aux femmes.

Le second, Ahmed El-Tokhi, du parti salafiste Azimoum, affirme que sa bannière n'avait rien d'illégale puisqu'elle y était depuis quatre jours. « L'idée n'était pas de dire aux gens quoi voter, mais plutôt de venir voter », se défend l'Islamiste barbu dans la jeune trentaine.

Entourés chacun de nombreux supporters, les deux représentants de parti vocifèrent. Ni l'un ni l'autre ne semble réaliser que leur présence, à moins de dix mètres d'un bureau de vote, n'est pas permise selon les règles électorales en vigueur dans l'Égypte post-révolutionnaire.

« Il y a des représentants de presque tous les partis autour du bureau de vote. Il y a des femmes des Frères musulmans qui s'organisent pour amener de la nourriture et de l'eau à celles qui attendent trop longtemps », note Alaa Ali, une jeune électrice de 18 ans.

Allégations de fraudes

Partout dans la capitale égyptienne, des observateurs des élections ont remarqué une série de phénomènes semblables. Présence des partis trop près des bureaux de scrutin, tentatives d'intimidation des électeurs, vols de bulletins de vote, manque de juges pour superviser le référendum, observateurs arrêtés : la liste des irrégularités relevées hier par des organisations non-gouvernementales lors d'une première journée de référendum était longue.

Voter à tout prix

Dans les longues files d'attente pour enregistrer leur opinion sur le projet de constitution rédigé principalement par les islamistes égyptiens, proches du président Mohamed Morsi, les électeurs faisaient bien peu de cas de ces violations alléguées au processus électoral.

«Voter est mon devoir. Quoi qu'il arrive. Je veux que mes fils connaissent une meilleure Égypte que celle du vieux régime d'Hosni Moubarak », a dit à La Presse Senaar Moustafa, une ménagère qui a voté contre le projet de constitution.

Selon elle, le document légal présenté à la population ne traite pas assez de santé et d'éducation. Elle n'aime pas non plus que le nouveau président s'arroge trop de pouvoirs, et ce, même si elle a voté pour lui lors de l'élection présidentielle du début de l'été.

Autour d'elles, ses compatriotes partagent facilement leur opinion. L'une va voter contre la constitution parce qu'elle craint une islamisation de la société et du gouvernement égyptien. Une autre va voter oui parce qu'elle croit que l'adoption d'une nouvelle loi-cadre permettra à l'Égypte de regarder vers l'avant. Une troisième votera non « comme toute sa famille », admettant que les 234 articles de la constitution sont « trop difficiles à comprendre ».

Division contestée

Tout près de 25,5 millions d'Égyptiens étaient invités aux urnes samedi dans 10 gouvernorats égyptiens, incluant la mégapole du Caire et la deuxième plus grande ville du pays, Alexandrie.

Les bureaux de vote, ouvert à 8 h le matin, doivent fermer leurs portes vers 21 h, heure de l'Égypte.

Samedi prochain, le reste du pays sera invité à voter à son tour. Après que 90 % des juges égyptiens aient refusé de superviser le référendum organisé en moins de deux semaines, le président égyptien a annoncé qu'il devait scinder le scrutin en deux.

Cette division du référendum inquiète particulièrement l'opposition au président Mohamed Morsi. Rassemblés sous l'ombrelle du Front du Salut national, les partis libéraux et de gauche, craignent des affrontements après la publication des résultats préliminaires du vote de samedi.

Appelés en renfort pour « sécuriser » le référendum, les militaires étaient très en vue hier autour des bureaux de scrutin. Un nouveau mandat accordé pour la période référendaire leur permet notamment d'arrêter des civils.

Les violences qui ont précédé le vote de samedi ont fait au moins 11 morts et plus de 800 blessés dans le pays en moins de deux semaines.

On s'attend à ce que les résultats référendaires soient connus dans les heures qui suivront la fermeture des bureaux de scrutin.