Les affrontements entre Coptes (chrétiens d'Égypte) et forces de l'ordre qui ont fait 25 morts dimanche au Caire ont relancé lundi les craintes d'aggravation des tensions dans un pays qui connaît une transition délicate depuis la chute du président Moubarak.

L'armée, aux commandes du pays depuis février, a demandé au gouvernement de «former rapidement une commission d'enquête» pour déterminer les responsabilités des événements survenus dimanche soir et qui se sont prolongés dans la nuit.

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À l'issue d'une réunion de crise, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) a dénoncé «les efforts de certains pour détruire les piliers de l'État et semer le chaos».

Des versions divergentes ont circulé sur ces affrontements imputés tour à tour aux manifestants coptes --qui constituent la majorité des personnes décédées-- aux militaires et aux forces de l'ordre sur place ou encore aux provocations de «voyous».

Le patriarche copte orthodoxe, Chénouda III, a mis ces affrontements, les plus meurtriers depuis la révolte qui a provoqué la chute de Hosni Moubarak le 11 février, sur le compte «d'inconnus infiltrés» et a dénoncé le fait que l'on puisse imputer les violences aux manifestants chrétiens.

Selon un dernier bilan diffusé par la télévision d'État, les affrontements ont fait 25 morts et 329 blessés.

Le président américain Barack Obama s'est dit «profondément inquiet» de ces violences, tout en estimant qu'elles ne devaient «pas empêcher la tenue d'élections en temps et en heure et la poursuite d'une transition vers la démocratie qui soit pacifique, juste et partagée».

L'Union européenne a condamné les affrontements, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, s'est déclaré «profondément attristé» et le responsable des Églises orientales au Vatican, le cardinal Leonardo Sandri, a dénoncé «une violence insensée».

Le gouvernement du premier ministre Essam Charaf, qui a estimé dans la nuit que le pays était «en danger», s'est réuni en urgence en début d'après-midi.

Au moins 40 personnes ont été arrêtées et 25 étaient en cours d'interrogatoire par les services du procureur militaire.

Les autorités ont en outre annoncé l'exécution lundi par pendaison d'un homme condamné à mort pour le meurtre de six Coptes à la sortie d'une église en janvier 2010, une information rare dans un pays où les dates des exécutions ne sont en principe pas révélées.

Les violences de dimanche ont eu lieu en marge d'une manifestation de Coptes qui protestaient contre l'incendie d'une église dans le gouvernorat d'Assouan (sud). Pour tenter de rétablir le calme, un couvre-feu a ensuite été décrété dans plusieurs quartiers du centre de la capitale de 02H00 à 07H00 heure locale.

La bourse du Caire a vivement réagi en perdant plus de 5 % à son ouverture lundi, avant de clôturer à -2,25 %.

Dans la nuit, le premier ministre avait appelé chrétiens et musulmans «à la retenue» et à ne pas céder aux «appels à la sédition». Il avait en outre estimé que les violences étaient dues à un «complot pour éloigner l'Égypte des élections».

Les premières législatives depuis le départ de M. Moubarak doivent se tenir à partir du 28 novembre, mais leurs modalités sont parfois décriées et beaucoup redoutent qu'elles soient marquées par des violences.

L'armée n'a pas encore fourni de calendrier précis pour la remise du pouvoir aux civils, promise après une élection présidentielle dont la date n'est pas encore formellement fixée.

Ahmed al-Tayyeb, grand imam d'al-Azhar, plus haute institution de l'islam sunnite, a appelé de son côté musulmans et chrétiens au dialogue «afin de tenter de contenir la crise».

«Les dirigeants doivent prendre des mesures sérieuses pour traiter les problèmes à la racine, autrement cette situation peut mener à la guerre civile», a estimé Fouad Allam, qui a dirigé les services de sécurité pendant 20 ans, en demandant une révision de lois religieuses discriminatoires.

D'autres relevaient en revanche que les heurts n'avaient pas simplement un fondement religieux, mais étaient alimentés par le ressentiment contre la police et le pouvoir militaire.

L'Égypte connaît depuis plusieurs mois une montée des tensions confessionnelles, alimentées par des querelles de voisinage et des différends sur la construction d'églises.

Les Coptes, qui représentent de 6 à 10 % des Égyptiens, s'estiment discriminés dans une société en grande majorité musulmane. Ils ont été visés par plusieurs attentats, en particulier celui du Nouvel an contre une église à Alexandrie, qui a fait 23 morts.

Ils protestent régulièrement contre une législation contraignante sur la construction ou la rénovation d'églises, qui contraste avec le régime nettement plus libéral qui prévaut pour les mosquées.

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Rappel des principales violences confessionnelles en Égypte

Rappel des principales violences confessionnelles en Égypte après les affrontements entre Coptes et forces de l'ordre qui ont fait 25 morts et plus de 300 blessés dimanche au Caire, les violences les plus meurtrières depuis la chute du président Hosni Moubarak.

Les Coptes (6 à 10% des quelque 80 millions d'Égyptiens), qui s'estiment discriminés et marginalisés, avaient déjà été particulièrement visés par la vague de violence islamiste qu'a connue l'Égypte à partir de 1992.

L'Égypte connaît depuis plusieurs mois une montée des tensions entre musulmans et chrétiens, alimentées par des querelles de voisinage et des différends sur la construction d'églises.

- 6 janvier 2010: Six Coptes et un policier sont tués à Nagaa Hamadi en Haute-Egypte lorsque trois inconnus ouvrent le feu sur une foule dans une rue commerçante à la veille de Noël. L'un des trois hommes, reconnu principal responsable de la tuerie, a été condamné à mort et a été exécuté lundi.

- 24 novembre 2010: Des affrontements entre la police et des manifestants chrétiens protestant contre l'interdiction de construire une église dans un quartier du sud-ouest du Caire font deux morts parmi les Coptes.

- 1er janvier 2011: Un attentat fait 21 morts et 79 blessés, en grande majorité des chrétiens, à la sortie d'une église copte après la messe du Nouvel An à Alexandrie, deuxième ville du pays. Les autorités attribuent l'attentat, non revendiqué, à un kamikaze commandité depuis l'étranger.

- 8 mars 2011: Treize personnes sont tuées lors d'affrontements entre musulmans et Coptes dans le quartier déshérité de Moqattam au Caire, où un millier de chrétiens protestaient contre l'incendie d'une église quelques jours auparavant au sud de la capitale.

- 7 mai 2011: Des affrontements entre musulmans et Coptes font quinze morts et plus de 200 blessés, selon le Conseil national pour les droits de l'Homme, dans le quartier populaire d'Imbaba au Caire, où une église est attaquée et une autre incendiée.

- 9 octobre 2011: 25 personnes sont tuées et plus de 300 blessées dans des affrontements opposant des Coptes aux forces de l'ordre dans le centre du Caire, lors d'une manifestation rassemblant des milliers de Coptes protestant contre l'incendie d'une église dans le gouvernorat d'Assouan (sud).