Réclamé à cor et à cri par des centaines de milliers de manifestants, évoqué par tous les médias internationaux, le départ du président Moubarak n'aura finalement pas eu lieu.

«C'est un nouvel épisode de déni de démocratie», déplore Miloud Chennoufi, professeur au Collège des forces canadiennes. Omar Souleimane, le premier vice-président d'Égypte depuis 1981, est l'un des anciens hommes forts des services secrets du régime qui ont semé la terreur pendant trois décennies. «Rien ne change, c'est même une régression. C'est un tortionnaire qui prend la tête d'une dictature», poursuit-il.

Quelques heures avant le discours présidentiel à la télévision d'État, le départ de Moubarak semblait pourtant «très probable». Mais les États-Unis, l'Arabie Saoudite et Israël craignent la chute du régime, soutient M. Chennoufi: «Depuis le début des événements, les Américains soutiennent le régime. Même si les discours donnent l'impression du contraire, ils ne diffèrent pas de ceux de Moubarak. Ils n'ont jamais parlé de démocratie et ils n'en parleront pas.» En restant au pouvoir, Hosni Moubarak envoie aussi un signal fort aux peuples du Proche-Orient qui pourraient être tentés de suivre l'exemple des Tunisiens et des Égyptiens. «De nombreux acteurs ne veulent pas d'une loi des séries dans la région et veulent éviter l'effet domino.»

Le régime de Moubarak n'est pas prêt à céder le pouvoir, croit pour sa part le sociologue Rachad Antonius, spécialiste du Proche-Orient, directeur adjoint de la chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté de l'UQAM: «Le régime ne semble pas prêt à faire une transition démocratique. Il veut garder le pouvoir, et l'opposition dit qu'il faut que les dirigeants du pays changent. L'issue de tout cela n'est pas déterminée.»

La promesse de Moubarak de punir les personnes responsables des violences dans la manifestation ne dupe personne, poursuit M. Antonius: «Ils vont trouver un ou deux officiers qu'ils vont sacrifier pour donner l'impression de punir les coupables. En Égypte, personne n'est dupe. C'est un bras de fer entre le pouvoir et la rue. On ne peut pas dire ce qu'il va se passer, chacun pousse de son côté. On verra qui résistera le plus.»

La suite des événements est difficilement prévisible, selon ces deux observateurs. On ignore aussi le rôle que l'armée, qui a assuré la population de son soutien hier, jouera dans les prochains jours. «Est-ce que l'armée va accepter d'être violente contre la population? Le régime va-t-il avoir recours aux truands pour décourager les manifestants? Vont-ils laisser les choses pourrir? Nous sommes dans l'ignorance la plus totale», dit M. Chennoufi.