Le puissant mouvement d'opposition des Frères musulmans, jusqu'ici honni par le pouvoir en Égypte, a engagé dimanche un dialogue inédit avec les autorités, tout en jugeant insuffisantes les réformes proposées par le régime contesté par des manifestations incessantes depuis 13 jours.

Place Tahrir, devenue une place-forte de la contestation du pouvoir au Caire, des milliers de manifestants ont continué à exiger le départ du président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981, agitant des drapeaux égyptiens et brandissant des banderoles.

Les groupes de jeunes à l'origine du soulèvement ont formé une coalition et assuré qu'ils ne quitteraient pas les lieux tant que le président n'aurait pas démissionné.

Le président américain Barack Obama a lui réitéré son souhait de voir émerger une transition «ordonnée» et «significative» qui mène à l'avènement d'un «gouvernement représentatif» en Égypte, lors d'un entretien accordé à la chaîne américaine Fox.

Pressé de s'exprimer sur l'avenir de M. Moubarak, Barack Obama a répondu: «Lui seul sait ce qu'il va faire. Ce que nous savons déjà, c'est que l'Égypte ne va pas retourner en arrière».

Le pouvoir et les Frères musulmans -principale force d'opposition officiellement interdite- ont pour la première fois en un demi-siècle discuté publiquement, en présence d'autres groupes d'opposition.

Les participants à cette séance de «dialogue national» se sont mis d'accord sur «une transition pacifique du pouvoir basée sur la Constitution», selon le porte-parole du gouvernement, Magdi Radi.

Mais les Frères musulmans ont aussitôt dénoncé l'insuffisance des réformes proposées.

«Ce communiqué est insuffisant», a déclaré Mohamed Mursi, haut responsable des Frères musulmans, lors d'une conférence de presse.

Parmi les propositions figurent notamment l'ouverture d'un bureau destiné à recevoir les plaintes concernant les prisonniers politiques et la levée des restrictions imposées aux médias.

Le texte appelle aussi à la levée de l'état d'urgence, «selon la situation sécuritaire». L'état d'urgence en vigueur en Égypte a été décrété après l'assassinat du président Anouar al-Sadate en 1981 par des islamistes, et constamment reconduit.

Ces décisions ont été prises au cours de discussions réunissant le régime, les Frères musulmans, le parti Wafd (libéral), le Tagammou (gauche), des groupes de jeunes pro-démocratie ayant lancé le mouvement de contestation ainsi que des figures politiques indépendantes et des hommes d'affaires, selon l'agence officielle Mena.

Dimanche matin, sur la place Tahrir, toujours cernée par les chars, chrétiens et musulmans avaient prié ensemble.

Dans la capitale de 20 millions d'habitants, la vie a repris doucement, de nombreux commerces et banques ouvrant à nouveau leurs portes, et la circulation sur les routes et ponts s'est rétablie.

En réponse aux appels répétés de plusieurs pays occidentaux à une transition politique ordonnée et rapide, le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit, a indiqué que son pays refusait les «diktats» de l'étranger.

Son ministère a accusé par ailleurs, sans les nommer, des diplomates étrangers d'avoir «tenté de faire entrer des armes et des appareils de télécommunications dans des valises diplomatiques».

La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton a elle exprimé dimanche un soutien prudent au dialogue entre pouvoir et Frères musulmans, préférant «attendre pour juger sur pièces de l'évolution».

Mme Clinton a également expliqué samedi soir au Premier ministre égyptien Ahmed Shafic que le harcèlement et les arrestations de journalistes «doivent cesser», lors d'une conversation téléphonique rapportée dimanche par le département d'Etat.

L'opposant égyptien le plus en vue, le prix Nobel de la paix Mohamed ElBaradei, a assuré ne pas avoir été invité au dialogue pouvoir-Frères musulmans, qualifiant ces discussions d'«opaques», sur la chaîne américaine NBC.

L'opposition a demandé au vice-président Omar Souleimane -nommé vice-président quelques jours après le début de la contestation populaire le 25 janvier- d'assumer les pouvoirs de M. Moubarak, mais M. Souleimane a refusé, selon un responsable d'un parti d'opposition sous couvert d'anonymat.

Depuis le 3 février, les manifestations se déroulent le plus souvent dans le calme. Des heurts entre policiers et manifestants durant les premiers jours de la contestation, puis entre militants pro et anti-Moubarak le 2 février, ont fait au moins 300 morts, selon un bilan non confirmé de l'ONU, et des milliers de blessés, selon des sources officielles et médicales.

La chaîne de télévision qatarie Al-Jazira a annoncé dimanche soir qu'un de ses journalistes arrêté dans la matinée avait été libéré après neuf heures de détention.