Divisée et affaiblie par l'état d'urgence en vigueur depuis 1992, l'opposion algérienne paraissait dimanche, au lendemain d'une nouvelle tentative de marche à Alger, loin de son objectif de «changer le système».

Comme il y a une semaine, la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), inspirée par la révolution en Tunisie et en Égypte, s'est heurtée à un impressionnant dispositif policier qui l'a empêchée de marcher dans la capitale.

«Cela prendra plus de temps» que dans les deux autres pays, a admis dans un entretien avec l'AFP l'universitaire Fodil Boumala, un des fondateurs de la CNCD -qui regroupe des partis, personnalités et syndicats- née dans la foulée des émeutes du début de l'année en Algérie qui ont fait cinq morts et 800 blessés.

«C'est le début de quelque chose et il faut du temps pour que cette dynamique trouve ses marques», renchérit l'opposant Djamal Zenati.

Ces responsables algériens répètent d'ailleurs que leur pays «n'est pas l'Égypte ni la Tunisie».

Les «trois régimes se ressemblent sur l'essentiel», mais les pays «se distinguent par l'histoire des mouvements sociaux, les chocs subis et le niveau de développement», analyse M. Boumala selon lequel le pouvoir algérien, grâce à la rente pétrolière, «a pu se constituer des ramifications et des réseaux» dans la société.

«Les conditions de la révolte sont là, la situation permettant le basculement fait défaut», observe le politologue Luiz Martinez, chercheur au Centre d'études et de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po Paris, dans le quotidien El Watan.

D'abord parce que «le régime dispose de moyens très importants pour affronter une révolte, en particulier une rente pétrolière qui le protège des pressions internationales».

En Algérie, où l'armée pèse lourdement sur la vie politique, «cela sera plus difficile pour les forces démocratiques dans la mesure où une partie de la population peut craindre qu'une confrontation politique avec le régime ne débouche à nouveau sur une logique de violence», selon M. Martinez.

«L'Égypte et la Tunisie n'ont pas connu de guerre civile, l'Algérie oui. C'est un facteur qui peut inhiber une partie du peuple», poursuit encore le chercheur.

Avant l'Égypte et la Tunisie, l'Algérie a fait sa «révolution» en octobre 1988 quand des émeutes, réprimées dans le sang, ont conduit à la reconnaissance du pluralisme politique.

Le Front de libération nationale (FLN), accroché à la légitimité historique héritée de la guerre d'indépendance contre l'ancienne puissance coloniale française, était pour la première fois concurrencée par des partis islamistes et laïcs.

Cette ouverture, intervenue à un moment où la révolution iranienne exerçait encore son attractivité sur les peuples musulmans, a profité au Front islamique du salut (FIS, dissous) qui promettait l'instauration d'une République islamique.

Alliant un discours radical contre les dirigeants «corrompus» du FLN qu'il promettait de livrer à des tribunaux populaires et un travail social au profit des pauvres, le FIS a remporté en juin 1990 les élections municipales et en décembre 1991 les législatives.

Sur le point de proclamer une «République islamique» aux portes de l'Europe, le FIS a été brisé dans son ascension par l'armée. Le pays a basculé dans des violences généralisées qui ont fait jusqu'à 200 000 morts, selon des sources officielles.

L'état d'urgence imposé par l'impératif de la lutte contre le terrorisme a par ailleurs réduit les libertés politiques et empêché l'enracinement des partis. L'opposition s'est divisée en «éradicateurs» alliés à l'armée dans sa lutte contre l'extrémisme et «réconciliateurs» favorables à une réhabilitation du FIS.

Djamal Zenati craint ainsi que la disposition de la population au changement soit découragée par «la mauvaise image que renvoient la dispersion et les tiraillements des forces politiques».