Poussé à bout, Mohcen Bouterfif a fait le 15 janvier un geste dramatique qui a eu des échos jusqu'aux plus hauts échelons de l'État algérien.

Comme l'explique en entrevue Samir, membre de la famille, le jeune homme de 27 ans s'était rendu ce jour-là avec plusieurs autres chômeurs devant le bureau du maire de la ville de Boukhadra, dans l'est du pays, pour réclamer du travail.

L'élu local a opposé une fin de non-recevoir à leurs demandes. Selon le quotidien El Watan, qui a enquêté sur place, il s'est même permis de narguer Mohcen Bouterfif en l'incitant à imiter Mohammed Bouazizi, ce jeune marchand ambulant qui a déclenché la révolution tunisienne en s'immolant en décembre. «Si tu as du courage, fais comme Bouazizi, immole-toi par le feu», aurait lancé le maire.

Outré, Mochen Bouterfif est parti chercher un bidon d'essence, et s'en est aspergé devant les locaux de l'administration avant de mettre le feu.

Souffrant de brûlures au troisième degré, il a été transféré dans un hôpital pour grands brûlés où ont été dépêchés deux spécialistes d'un hôpital militaire de la capitale, Alger.

Il est finalement mort le 24 janvier dernier, laissant dans le deuil sa femme, enceinte au moment du drame, et un premier enfant.

«C'est le préfet qui s'occupe de leur venir en aide», souligne Samir Bouterfif, qui insiste sur le fait que beaucoup de villes connaissent des difficultés similaires à celles de Boukhadra. «Du chômage, il y en a partout», relate-t-il.

Selon divers médias locaux, le gouvernement algérien a suivi de très près le cas de Mohcen Bouterfif, craignant que son geste désespéré n'entraîne une vague de protestations. Plusieurs autres cas d'immolation ont été recensés par la suite dans diverses villes du pays, incluant à Alger, où un éboueur a tenté au début de février de s'enlever la vie lors d'une manifestation devant le siège du ministère du Travail.

Le journaliste Mohand Aziri s'est précipité pour stopper le malheureux après qu'il se fut aspergé d'essence.

«C'était à vous déchirer le coeur. Il criait: Laissez-moi mourir! Laissez-moi crever! « relate M. Aziri, qui s'inquiète de la multiplication des cas d'immolation dans le pays.

«La jeunesse algérienne n'a plus confiance dans l'avenir. Ceux qui s'immolent veulent dire au régime qu'il n'y a plus de différence pour eux entre vivre et mourir, qu'ils n'ont plus rien», souligne Adel Sayad, un écrivain de la région où vivait Mochen Bouterfif.

Le désespoir de la population est alimenté notamment par la corruption. «Les jeunes, les vieux, tout le monde sait que l'argent de l'Algérie ne revient pas au peuple, qu'il part dans les poches des gouvernants, des ministres, des préfets, des maires...» dit-il.

M. Sayad pense que les difficultés de la population déboucheront plus tôt que tard sur un soulèvement important. «La dictature n'a pas d'oreilles pour entendre ce que dit le peuple. Elle ne peut que tomber subitement», conclut-il.