Le 17 décembre 2010, en Tunisie, un vendeur de fruits et légumes, Mohamed Bouazizi, s'est immolé par le feu. Son geste désespéré marque le début d'un printemps arabe provoquant la chute du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali puis celle de Hosni Moubarak en Égypte. Un an plus tard, nos envoyés spéciaux ont demandé à des enfants de Tunis et du Caire de raconter en dessins leur révolution. Des témoignages drôles, attendrissants, parfois troublants. Quel regard pose-t-on sur une révolution quand on a 8, 9 ou 10 ans?

Au Caire, Nour, en 4e année B, a dessiné un soleil et un drapeau d'Égypte posé comme un arc-en-ciel. Sous le soleil, des enfants qui portent à bout de bras des souhaits de toutes les couleurs. « Je veux me marier», dit l'un. «Égalité», dit l'autre. «Je veux travailler», «Du pain à manger», «Éducation»,«Liberté».

Sa compagne de classe Rosanne a choisi de raconter la révolution en deux temps. D'un côté de son dessin, c'est le 24 janvier. Le ciel est gris, les nuages sont tristes. Des chars d'assaut et des fusils, des maisons en ruines et des fenêtres brisées. De l'autre, c'est le 25, date du début du soulèvement. Il fait soleil sur les pyramides. Sur un écran d'ordinateur, le mot «Facebook» en lettres bleues. En rouge, le mot « démocratie ».

Parallèlement, pour les élèves de l'école Rue de Pologne, à Tunis, la révolution a souvent été affaire de fusils, de chars d'assaut et d'affrontements. La majorité des 25 dessins qu'ils ont exécutés évoquent cet aspect des événements, qui ont secoué tout le pays pendant près d'un mois et causé quelque 300 morts.

Pendant la révolution, nous avons vécu des jours terrifiants», a expliqué un petit élève de 5e année à son enseignante, Lamia Guemira. «L'an dernier, les enfants m'ont dit qu'à la maison, ils avaient tellement peur qu'ils n'osaient pas en parler, même avec leurs parents, rapporte-t-elle. C'était une ambiance assez lourde pour des enfants.»

Même si leurs dessins sont très éloquents, les élèves du Collège de La Mère de Dieu, au Caire, parlent peu au quotidien du soulèvement de la place Tahrir. Pour des enfants de cet âge (8 à 10 ans), il n'est pas toujours facile de trouver les bons mots, note Paula Armanios, leur enseignante au sein de cette école de filles fondée par des religieuses et fréquentée par des enfants musulmans et chrétiens de l'élite cairote.  

Elles en parlent peu, mais elles savent. Le matin, elles cherchent à la une des journaux des titres faciles à lire qui parlent des manifestations et des événements en général.

Qu'est-ce que la révolution a changé dans leur vie? Le mot « patrie » n'est plus loin dans leur pensée, observe leur enseignante. «Ce n'est plus un vocabulaire de dissertation, mais un amour caché et qui submerge. Elles le vivent, le chantent et voilà qu'elles le font naître dans leurs dessins.»

Au sentiment de fierté évident évoqué par de nombreux dessins se mêle l'espoir, souvent représenté par le soleil. Un espoir fragile, «que l'on risque de perdre», ajoute l'enseignante, moins optimiste que ses élèves au lendemain d'une révolution qui n'a pas encore rempli toutes ses promesses.

Même exaltation chez les petits Tunisiens, qui ont été nombreux à ajouter de petits drapeaux et des phylactères patriotiques, comme «La Tunisie au coeur», «I Love Tunisia», «Tunisie libre» et «Vive le peuple». Signe qu'ils ont bien compris les enjeux, de petits manifestants surgissent au gré des dessins, réclamant «un changement de régime», «du pain et du eau et non pour Ben Ali» et «Game over».

Moi, j'ai écrit un slogan : «Les enfants veulent la liberté! a expliqué une petite élève à Mme Guemira. Quelques jours après, nous avons gagné.»

J'ai trouvé que les enfants étaient étonnamment matures, dit l'enseignante. Ils ont même rectifié les étiquettes. Pour eux, ce n'était pas que la révolution du jasmin, c'était celle de la dignité et de la liberté.»