Le soulèvement syrien est suivi de près non seulement par les voisins de la Syrie, mais aussi dans toutes les grandes capitales de la planète. Si la poudrière syrienne explose, les dégâts déborderont dans toute la région. Certains voisins soutiennent le régime actuel, d'autres le pourfendent. Voici pourquoi.

Au moins 4000 morts, des milliers de blessés, jusqu'à 40 000 prisonniers politiques: neuf mois après les premières manifestations contre le régime de Bachar al-Assad, la crise syrienne ne donne aucun signe d'apaisement. Bien au contraire, ce soulèvement dégénère de plus en plus en une guerre civile sanglante, qui risque fort de déborder chez les voisins.

Ceux-ci suivent forcément à la loupe les turbulences qui agitent ce tout petit pays de 22 millions d'habitants, qui partage ses frontières avec l'Irak, la Turquie, le Liban et Israël - tous directement concernés par le dénouement de la crise. Des voisins un peu plus lointains ont aussi beaucoup à perdre, ou encore beaucoup à gagner en Syrie. Au premier plan: l'Iran et l'Arabie saoudite.

La Syrie se distingue des autres pays emportés au cours des derniers mois par le Printemps arabe, souligne Houchang Hassan-Yari, du Collège militaire royal de Kingston. «Sa situation géo-stratégique fait en sorte qu'il y a beaucoup plus d'enjeux internationaux que lors du soulèvement tunisien, par exemple, où les enjeux étaient essentiellement locaux.» En d'autres mots, le soulèvement tunisien concernait surtout les Tunisiens. La protestation syrienne, elle, concerne tout le monde...

La Syrie est l'un des rares alliés de l'Iran. Elle lui permet d'acheminer des armes au Hezbollah libanais. Elle soutient aussi le Hamas, organisation islamiste palestinienne au pouvoir dans la bande de Gaza.

La Syrie est aussi un maillon économique crucial, par où transitent plus de la moitié des importations régionales, souligne le politicologue Sami Aoun, de l'Université de Sherbrooke. Elle donne aussi accès à la Méditerranée, et donc à l'Europe. Ce qui élargit encore davantage le rayonnement international du pays de Bachar al-Assad. L'une des villes du littoral, Tartous, abrite d'ailleurs une base navale russe. Voilà qui ajoute à l'intérêt de Moscou pour la crise qui secoue le pays...

Au-delà des rivalités politiques et des enjeux économiques, il y a aussi la religion. Le conflit syrien sert de théâtre au conflit entre musulmans sunnites et chiites - et le jour où Bachar al-Assad perdra le contrôle du pays, ces derniers risquent de perdre beaucoup de plumes.

Dans une stratégie familière à toutes les dictatures vacillantes, le régime syrien nie avoir affaire à un soulèvement populaire et accuse les puissances étrangères de tirer les fils de la rébellion pour détruire le dernier bastion anti-impérialiste dans le monde arabe.

Mais on n'a pas besoin de croire en un vaste complot international pour comprendre que la Syrie sert aujourd'hui de terrain d'affrontement entre des régimes qui soutiennent Bachar al-Assad, et pas seulement pour ses beaux yeux. Et d'autres qui souhaitent sa chute, et pas seulement par amour de la démocratie. Voici les raisons qui animent les uns et les autres.

LES AMIS DE BACHAR AL-ASSAD

Iran

Les motivations

La chute de Bachar al-Assad ferait perdre à l'Iran son allié le plus précieux, qui lui permet de rejoindre le Hezbollah, le mouvement chiite qui contrôle le sud du Liban. Pour l'Iran, il s'agirait du «revers stratégique le plus sérieux depuis le 11 septembre 2001», selon Sami Aoun. Du coup, ce pays se trouverait aussi plus vulnérable devant Israël. La chaîne de l'islam chiite qui sont de l'Iran, passe par Damas et Bagdad, avant de rejoindre le Liban, serait également rompu.

Les actions

L'Iran apporte un appui inconditionnel au régime Assad. Il lui accorde de l'aide militaire. Mais en même temps, il appelle Damas à ouvrir un dialogue avec les opposants et à leur offrir quelques compromis.

Irak

Motivations

Depuis la chute de Saddam Hussein, l'Irak est dirigé par la majorité chiite. Celle-ci craint que la chute de Bachar al-Assad ne renforce les sunnites syriens - mais aussi ceux de son propre côté de la frontière. Le chaos syrien risquerait alors de déborder en Irak, qui a connu plus que sa part de guerres fratricides.

Actions

L'Irak fait partie de la poignée de pays qui ont refusé d'appuyer les sanctions décrétées par la Ligue arabe contre la Syrie. Il a appuyé la Syrie financièrement (la rumeur veut qu'il y ait envoyé des millions de dollars) et diplomatiquement.

Liban

Motivations

Le gouvernement libanais est dominé par le Hezbollah, la milice chiite qui contrôle le sud du pays et menace Israël. Il appuie le régime Assad par solidarité religieuse, mais aussi pour des raisons pragmatiques, puisqu'il la fournit en armes. Par contre, les sunnites libanais appuient les opposants syriens. Et les chrétiens sont divisés.

La chute du régime syrien risque d'exacerber les tensions interconfessionnelles au Liban. Au risque de rallumer une guerre civile dans ce pays, craint Houchang Hassan-Yari.

Actions

Tout en soutenant le régime Assad, le gouvernement libanais joue de prudence, pour ne pas exacerber les tensions internes. Il a tendance à s'abstenir dans les votes. En même temps, le Liban abrite aussi plusieurs opposants syriens, réfugiés à l'intérieur de ses frontières.

Russie et Chine

Motivations

La Russie se méfie des islamistes qui pourraient prendre le pouvoir après la chute du régime, mais aussi de la Turquie, qu'elle voit comme un pion pro-américain. La Chine défend ses intérêts économiques, notamment dans le pétrole. Ces deux pays ne se préoccupent pas trop des droits de l'homme et s'opposent à toute atteinte à la souveraineté des États.

Actions

La Russie et la Chine opposent leur veto aux résolutions antisyriennes au Conseil de sécurité. La Russie a aussi envoyé des signaux contradictoires, annonçant qu'elle dépêcherait des navires de guerre vers la Syrie en 2012, avant de corriger le tir pour dire que ces navires ne feraient pas escale dans les eaux syriennes

LES ENNEMIS DE BACHAR AL-ASSAD

Turquie

Motivations

Se sentant rejetée par l'Union européenne, la Turquie cherche maintenant à augmenter son influence au Moyen-Orient. Elle voit d'un bon oeil la montée de l'islamisme modéré, porté par les Frères musulmans. Elle craint aussi qu'en se prolongeant, la crise syrienne ne se répercute à l'intérieur de ses propres frontières, avec un nouvel afflux de réfugiés.

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La Turquie a abrité plusieurs conférences des opposants syriens. Elle milite en faveur de l'établissement d'une zone de protection à l'intérieur de la Syrie. Et pourrait devenir l'acteur-clé dans le cadre d'une éventuelle intervention militaire étrangère en Syrie.

Arabie saoudite

Motivations

Le royaume saoudien cherche surtout à affaiblir l'influence de l'Iran et de l'islam chiite. Il y va de la rivalité religieuse, mais aussi ethnique: ce sont les Arabes contre les Persans. Ce qui est en jeu ici, également, c'est l'alliance stratégique saoudienne avec les États-Unis.

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L'Arabie saoudite reste discrète, tout en déléguant un rôle plus actif au Qatar.

Qatar

Motivations

«C'est un tout petit État, avec une grande diplomatie», dit Sami Aoun. Il agit au nom des autres pays du Golfe, en faveur d'islamistes modérés et pro-occidentaux.

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En plus d'un rôle diplomatique, le Qatar allonge aussi ses pétrodollars. Il aurait proposé 100 millions de dollars au ministre syrien des Affaires étrangères pour qu'il annonce sa rupture avec le régime.

Égypte

Motivations

Très hésitante au début du soulèvement, l'Égypte a fini par se joindre aux anti-Assad. La montée des Frères musulmans (sympathiques aux Frères musulmans syriens) et des salafistes (alignés sur l'Arabie saoudite) y est sans doute pour quelque chose.

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L'Égypte abrite la Ligue arabe qui a voté des sanctions contre la Syrie. Elle a milité en faveur des sanctions. Elle abrite aussi des opposants syriens

États-Unis

Motivations

Washington craint les lendemains de son retrait de l'Irak. Il veut éviter que l'axe chiite Iran-Syrie-Irak ne soit renforcé après le départ de ses troupes. La chute d'Assad préviendrait ce scénario. Mais elle pourrait aussi accoucher d'un autre cauchemar...

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Les États-Unis agissent de loin, par l'intermédiaire du Qatar et de la Turquie.

LES HÉSITANTS

Jordanie

Motivations

Le gouvernement jordanien n'aime pas Bachar al-Assad, mais hésite à le dire ouvertement, par crainte de sa propre population, qui voit le régime syrien comme une puissance régionale opposée à Israël. La Jordanie craint aussi les répercussions des sanctions antisyriennes sur son économie.

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La Jordanie a soutenu les sanctions contre la Syrie, mais elle a aussi réclamé qu'elles ne soient pas appliquées. Le cas échéant, elle réclame des compensations financières.

Israël

Motivations

L'État hébreu est pris entre deux feux. Le régime syrien soutient le Hezbollah, au Liban, et le Hamas, dans les territoires palestiniens. Deux ennemis jurés d'Israël. Sa chute affaiblirait ces deux mouvements. Elle affaiblirait aussi l'Iran.

Mais qui viendrait après? Israël craint qu'après la chute du régime Assad, le pouvoir ne se retrouve entre les mains d'islamistes, y compris les Frères musulmans, susceptibles de soutenir... le Hamas.

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Cette semaine, le ministre de la Défense israélien, Ehoud Barak, a annoncé la chute imminente du régime syrien. Mais pour l'essentiel, Israël garde une attitude attentiste.

Cette ville à majorité sunnite, qui compte 750 000 habitants, est au coeur d'une bataille féroce depuis plusieurs mois. Encerclée par l'armée, la ville serait soumise à un début d'«épuration ethnique» - les alaouites et les sunnites se séparant en quartiers de plus en plus mono-confessionnels.

Deraa

C'est là que le soulèvement syrien a commencé, le 15 mars 2011

Tartous

Ville côtière qui abrite une base navale russe