Un manifestant égyptien a été tué dans des affrontements avec les forces de sécurité samedi devant le siège du gouvernement au Caire, où règne un climat de tension croissante à l'approche des élections législatives qui doivent commencer lundi.

Le Conseil suprême des forces armés (CFSA) au pouvoir depuis la démission du président Hosni Moubarak sous la pression de la rue en février a alimenté la colère en nommant vendredi Kamel el-Ganzouri, 78 ans, au poste de premier ministre, une fonction qu'il a déjà occupée sous le raïs dans les années 1990. Il maintient par ailleurs le calendrier électoral qui prévoit le début des législatives lundi, dans le cadre d'un processus qui doit se terminer en mars, mais il a prolongé de deux jours chaque tour pour favoriser la participation.

Kamel el-Ganzouri remplace Essam Sharaf, qui a démissionné cette semaine à la suite des accrochages entre forces de sécurité et manifestants qui ont fait plus de 40 morts depuis le 19 novembre, selon des chiffres officiels. Une trêve a été conclue jeudi.

Plus de 100 000 personnes se sont rassemblées vendredi place Tahrir, épicentre de la révolution du début de l'année, pour rejeter la désignation de M. Ganzouri et exiger le transfert du pouvoir à une direction civile. On comptait encore quelque 5.000 manifestants samedi midi.

Vingt-quatre groupes, dont deux partis politiques, ont demandé au CFSA de céder le pouvoir au gouvernement de «salut national» dont ils ont décidé la création. Il serait dirigé par le prix Nobel de la paix Mohamed El-Baradeï et composé de députés représentant tout le spectre politique.

La télévision d'Etat a rapporté que le maréchal Hussein Tantaoui, qui préside le CSFA, avait rencontré séparément samedi M. El-Baradeï et un autre ex-candidat à la présidence, Amr Moussa, également ex-ministre des Affaires étrangères de Moubarak et ancien secrétaire général de la Ligue arabe.

Des centaines de personnes ont passé la nuit de vendredi à samedi devant le siège du gouvernement pour tenter d'empêcher Kamel el-Ganzouri d'entrer et de prendre ses fonctions. Des heurts ont éclaté avec les forces de sécurité qui ont tenté de les disperser.

Un caméraman de l'Associated Press a vu des manifestants lancer des pierres sur un véhicule de transport de troupes de la police et un blindé qui ont riposté en tirant des gaz lacrymogènes. L'homme tué a été écrasé par l'un des véhicules mais plusieurs versions circulaient sur les circonstances du décès.

Le ministère de l'Intérieur a déploré la mort d'Ahmed Serour, qualifiée d'accident. Selon un communiqué, la police a été attaquée par les manifestants alors qu'elle se rendait simplement au siège du ministère et la victime a été écrasée par le conducteur de l'un des véhicules qui a paniqué.

Un manifestant de 21 ans, Mohammed Zaghloul, a déclaré avoir vu six véhicules se diriger vers la foule. «C'est devenu très tendu, des pierres ont commencé à voler et les voitures de police fonçaient comme des dingues. La police a lancé une grenade lacrymogène et tout d'un coup nous avons vu plusieurs des nôtres transporter le corps d'un homme qui saignait abondamment», a-t-il raconté.

Place Tahrir, Hala al-Kousy, 37 ans, a déclaré que les protestataires ne partiraient pas tant que le Conseil suprême des forces armées resterait au pouvoir. «Ils sont patients, mais nous aussi», a-t-il lancé.

Confrontés au plus fort mouvement de protestation depuis qu'ils assurent l'intérim, les militaires assurent qu'ils respecteront le calendrier de transition vers la démocratie.

Le nouveau Parlement sera probablement dominé par les Frères musulmans, le parti le mieux organisé du pays, qui boycotte les manifestations au motif que les élections doivent se dérouler comme prévu. Les manifestants sont quant à eux divisés sur leur participation au scrutin.

Nevine Mustafa, 40 ans, a déclaré à l'AP qu'elle comptait voter même si elle souhait un report des élections une fois la situation calmée. «J'ai un rôle à jouer et je veux que ma voix sont entendue», a-t-elle expliqué.

Une autre manifestante, Manal al-Adaouy, 35 ans, a en revanche affirmé qu'elle boycotterait le scrutin. «Tant que le conseil militaire nommera d'anciens esclaves de Moubarak, nous continuerons l'occupation. Je ne voterai pas parce que je ne veux pas donner de légitimité aux militaires ou aux élections», s'est-elle justifiée.